Chers visiteurs de ce blog,
Comme nous le faisons souvent, ce blog publie l'article d'un gabonais qui a forcé notre admiration. Les élements de son analyse, loin des clichés, partisans, démontrent clairement que André Mba Obame était l'homme à abattre tellement il génait le pouvoir.
Son article publié dans son blog que vous pouvez consulter ici et dans le journal le temps.
Nous vous souhaitons bonne lecture:
Gabon :
André Mba Obame, l'élimination insidieuse d’un adversaire redouté ?...
21 avril 2015 | Par Marc Mvé BekaleMarc Mvé Bekale |
Soins médicaux en Afrique du Sud. En France. Au
Niger. Dernier souffle au Cameroun. Pour André Mba Obame, le compte à rebours
avait certainement commencé le jour de sa déclaration de candidature à
Barcelone où il avait révélé au public gabonais une image différente du « père
fouettard » de la République qu’il endossa lors de son passage au ministère de
l’Intérieur. La campagne électorale de 2009 fut une véritable reconversion au
cours de laquelle la population allait découvrir un homme talentueux,
courageux, déterminé, fin stratège, habité par une volonté d’airain.
Technocrate compétent, André Mba Obame faisait partie de la classe des
meilleurs. Il cumulait les atouts et les défauts d’un homme du sérail,
maîtrisait les arcanes du pouvoir local et françafricain. Sans doute, ces
atouts lui seront-ils fatals et lui vaudront d’être désignés comme l’homme à
abattre en vue d’une succession dynastique.
Face à la théorie de l’élimination insidieuse
d’un adversaire menaçant, le ventriloque de la « chambre exécutive » exigera
des preuves et brandira la menace d’un procès. Pourtant nombre de disparitions
d’hommes politiques gabonais, ces derniers temps, semblent liés au climat
impitoyable, sorcellaire et mortifère qui a marqué la fin de règne d’Omar
Bongo. S’appuyant sur des enquêtes universitaires, Pierre Péan restitue très
bien ce climat dans son dernier ouvrage : « La mort annoncée du chef va
exacerber les luttes politiques, mais aussi thérapeutico-religieuses,
familiales ou lignagères, englobant les procédés d’attaque et de « blindage »
magiques propres, en ces parages, aux détenteurs de pouvoirs. Tant et si bien
que, pour expliquer les méandres de cette guerre de succession, il faudrait
avoir accès non seulement aux documents secrets français – Paris restant là,
comme hier, un protagoniste essentiel -, mais aussi à l’envers du décor, aux
menées invisibles via la sorcellerie, les crimes rituels, le pillage des corps.
Les « guerres mystiques » vont en effet se mener à coups d’armes « nocturnes »
(les fameux « fusils nocturnes » de la sorcellerie) et de poisons (« assiettes
roumaines », « bouillons d’onze heures », « seringues »…) (p. 122). Il y
eut surtout le successeur auto-proclamé. Sa soif du pouvoir. Le père en était
conscient. Il en eut même peur et tenta de l’écarter. Au courant de basses
manœuvres orchestrées par le fils avide, Bongo s’écriera devant témoins : «
Tout ça par mon propre soi-disant fils ! Je ne pardonnerai jamais à ce bâtard.
[…] Il ne me succédera pas. Il ne sera jamais président. Il croit que je suis
mourant. Il va voir… » (p. 129). Un jour, voyant apparaître Œdipe futur roi
dans ses écrans de surveillance, il aura cette autre exclamation : «
Regarde, fiston, ce monsieur veut ma mort » (p. 128). Une fois que le père
rendit l’âme à Barcelone, le combat darwinien atteignit l’apogée. Un demi-frère
du monarque en devenir imagina un canular. Il décida de rédiger simultanément
sa déclaration de candidature aux élections présidentielles anticipées de 2009
et une lettre de retrait de la course. Auparavant, il eut un échange virulent
avec un des fervents soutiens militaires du successeur auto-proclamé qui lui
enjoignit de retirer sa candidature : « Non, Pourquoi donc veux-tu que je la
retire ? », « Je te donne un ordre. Maintenant, on ne rigole plus ! Tu n’en
sortiras pas vivant, si tu la maintiens. Tu ne reverras plus la lumière du
jour… », « Je ne la retirerai pas ! » « Tu es mort ! » La MORT. Tel est le
sort réservé à tous ceux qui penseront à entraver les ambitions du nouveau
chef.
Sans doute André Mba Obame fut-il condamné parce
qu’il incarnait une véritable alternative politique. Il portait l’espérance
d’une alternance démocratique. Jouissant de ses capacités physiques et
intellectuelles, soutenu par une Union nationale solide, il aurait balayé en
2016 le pouvoir illégal détenu aujourd’hui par un faussaire doublé d’un
usurpateur.
Nous l’avions déjà écrit dans Lettre à la
jeunesse gabonaise. Arrivé au pouvoir tel un gangster (cf. le documentaire
de Patrick Benquet, « Françafrique : la raison d’Etat » et Nouvelles
affaires africaines de Pierre Péan), cet homme représente l’archétype de
ces « nouveaux sauvages » que met en scène le cinéaste argentin Damián Szifron
dans un film du même nom. Tout en lui laisse transparaître le mépris de
l’Autre, l’indifférence à la vie humaine. Seule compte à ses yeux, la
célébration narcissique de soi. La jouissance absolue du pouvoir.
Dans le genre, l’Afrique a eu Jean-Bedel Bokassa
et Idi Amin Dada. Ces deux avaient un point commun : une insatiable appétence
pour l’exercice tyrannique du pouvoir, qui les poussait à des actions
monstrueuses allant jusqu’à l’élimination physique de leurs ennemis réels et
imaginaires. Ne retrouvez-vous pas semblables impulsions en nos terres, où le
poison, les « seringues », le sang des crimes rituels assouvissent la boulimie
d’un chef porté par une irrépressible volonté de puissance se traduisant tantôt
par un consumérisme démentiel : collection de voitures de luxe, achats
frénétiques de biens immobiliers à l’étranger, prise de participation dans
toutes les grandes entreprises qui opèrent au Gabon comme l’a bien montré un
article paru dans le journal en ligne Médiapart, mise en scène
spectaculaire de son Ego démesuré par des forums dispendieux qui n’apportent
rien au Pays. Cette folie gargantuesque voue à la haine et à la destruction
tous ceux qui tentent de la réfréner.
Pierre-Claver Zeng, un de nos brillants
artistes, homme politique courageux, a connu lui aussi en 2010 une fin
prématurée, foudroyé en quelques semaines par la « maladie ». Point de
symptômes ni signes précurseurs. De retour d’un footing, sport qu’il pratiquait
au quotidien, il a commencé à ressentir des douleurs à l’abdomen avant d’être
terrassé.
Pierre-Claver Zeng et André Mba Obame. Deux
personnalités charismatiques issues d’une ethnie vouée aux gémonies. Il n’y a
que les idiots pour se méprendre sur la nomination des premiers ministres fang.
Toutes ces nominations, de Léon Mebiame Me Mba à Daniel Ona Ondo, relèvent d’un
simple habillage, d’une façade, d’un jeu cosmétique consistant à placer
quelques marionnettes et sous-fifres sans pouvoir véritable à la tête du
gouvernement.
Il n’y a pas longtemps, Albert Ondo Ossa, un des
meilleurs économistes du Gabon, a échappé à un assassinat dans la rue. L’acte
aurait pu être revendiqué par ce quidam qui se trouve être un des conseillers
en communication du monarque. L’individu en question, sans qu’il soit inquiété
le moins du monde, « vouvouzélise » sa haine ethnique à travers les réseaux
sociaux où, suite à des défections politiques dans le nord du pays, il a appelé
à l’extermination des Fang. En 2012, le magazine Jeune Afrique a
consacré une couverture à ce peuple (« Afrique centrale : bienvenue chez les
Fangs »). L’exécutif gabonais, par le biais de son porte-voix, s’en était
offusqué parce que le reportage, supposé avoir été commandité par les ennemis
de la monarchie, cherchait à y attiser les antagonismes ethniques. Dans une
vidéo disponible sur internet, la même ligne d’argumentation est développée par
le journaliste Francis Sala Ngoua Beaud pour expliquer sa rupture avec Mba
Obame, dont il accusait de vouloir mettre le pays à feu et à sang en cas de
défaite électorale. L’unique moyen de prévenir l’apocalypse ne revenait-il pas
à écarter l’apprenti-sorcier ? Par toutes les voies possibles. Maintenant que
c’est fait, le clan des vainqueurs verse des larmes. Non, il n’a pas persécuté
et travaillé à la disparition du fauteur de troubles. Qu’il est facile
d’enterrer la hache de guerre lorsque l’ennemi a été abattu ! Les vainqueurs
peuvent alors exulter, triompher tels des vautours autour de leur proie, se
livrer au rituel cynique d’épanchements émotionnels en saluant la mémoire d’un
« frère », d’un « ami », d’un « compagnon politique de 25 ans ». On promet
même, si le peuple est sage, d’aller s’incliner devant la dépouille de la
victime pour mieux se délecter de son forfait.
Le 15 avril dernier, le PDG a organisé un
pseudo-méga-meeting à Rio. Il est convenu de se demander si cette rencontre et
l’annonce, le lendemain, du décès de Mba Obame relevait d’une pure coïncidence.
Ceux au pouvoir en étaient déjà certainement informés. La rencontre avait pour
but de démontrer la popularité du nouveau chef quand, en réalité, il a fallu
des prébendes pour payer et ameuter des figurants. Ce meeting avait
probablement été prévu de longue date. Mais sa tenue recouvre une signification
assez symbolique. La disparition de l’un signait la renaissance de l’autre. En
organisant artificiellement une liesse populaire visant à célébrer l’avènement
d’un règne politique parti pour durer, l’on fêtait simultanément la mort de
l’ennemi dans le but d’éteindre définitivement son aura. On comprend alors
mieux le sens de ces mots prononcés à Rio : « je suis là, et je resterai
là, je ne partirai pas ». Vocabulaire triomphateur, bien sûr. Le
boulevard est complètement ouvert. Il n’y avait plus d’obstacle en travers de
la route menant à 2025. Et au-delà.
L’humanité fait face à une profonde mutation.
Les régimes oppresseurs, quoiqu’ils fassent, sont désormais éphémères. La
volonté de la majorité, en dépit de la manipulation des masses, ne saurait plus
être bafouée ad vitam aeternam. La lutte pour le triomphe de la démocratie et
l’avènement d’un Etat de droit au Gabon devrait remobiliser les populations qui
refusent l’imposture actuelle. C’est dans la poursuite d’une telle lutte que
l’on peut honorer la mémoire d’André Mba Obame et de tous les hommes politiques
insidieusement éliminés parce qu’ils incarnaient une alternative au pouvoir des
nouveaux sauvages.
Marc Mvé BekaleEssayiste/Maître de conférences (Université de Reims, IUT de Troyes)Dernier ouvrage publié : Médiations senghoriennes : vers une ontologie des régimes esthétiques afro-diasporiques. Paris, L’Harmattan, 2015.
Article paru dans le journal gabonais Le
Temps
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