Il a toujours jouit d’une sorte d’impunité naturelle. Aujourd’hui, tout cela semble remis en cause. Le seul fait que l’un des hommes les plus craints du pays de ces 40 dernières années et certainement le plus puissant des 5 dernières soit assigné en justice est déjà en soi une peine. Si, à ce jour, rien ne semble acquis au plan juridique, médiatiquement et politiquement Ali Bongo est déjà jugé. Dans les taxis, bars, cafés et même dans les salons feutrés, les commentaires vont bon train, les uns plus définitifs et tranchants que les autres. Certains flétrissent une supposée tendance à fonctionner au passe-droit. D’autres mettent en cause l’administration et particulièrement les instances décentralisées. Il s’en trouve même qui interrogent le fonctionnement des institutions et singulièrement de l’autorité judiciaire.
Depuis quelques jours, la justice est effectivement l’objet de toutes les attentions. Avec la saisine annoncée de la Haute Cour de justice par le président de l’Union du peuple gabonais (UPG), voici que la judiciarisation de «l’affaire Péan» prend une autre tournure, mélange de juridique et de politique. Unique juridiction pouvant connaître de la situation d’un président de la République en exercice, la Haute Cour de justice est une entité d’exception prévue par la Constitution. On est bien aux confins du politique et du juridique.
CDG, Jean PING et le Président MOUKAGNI-IWANGOU |
Situation inédite à tout le moins : la plainte de Jean de Dieu Moukagni Iwangou vise moins à juger une personne et prononcer une peine qu’à apprécier une situation politique et mettre fin à un mandat en raison de manquements aux devoirs de la charge. Des éclaircissements liés au caractère juridictionnel d’une procédure visant à mettre en jeu une responsabilité politique s’imposent. D’une manière ou d’une autre, l’opinion y découvre les artifices de notre système juridique et institutionnel. Elle prend conscience de l’étendue des pouvoirs et protections particulières dont bénéficie le président de la République. Et par un jeu de balancier, elle exige de l’exemplarité à la première institution du pays. «La République est fondée sur la vertu», enseigne Montesquieu. Pour lui, «l’honneur» et «la crainte» n’ont rien à faire en République. Ils relèvent respectivement de la monarchie et du despotisme.
Vertu, honneur et crainte.
Au demeurant, la triple plainte de Jean de Dieu Moukagni Iwangou peut agir comme un révélateur. Elle tend à interroger la nature profonde de notre Etat. A travers elles, pouvoirs exécutif et judiciaire sont à l’épreuve. Jusque-là, on a évoqué les procédures engagées devant l’ordre judiciaire, leurs éventuelles conséquences et probables destinées. On a même imaginé que tout ceci ne prospèrerait pas, que les plaintes du Front de l’opposition pour l’alternance ou de Luc Bengono Nsi étaient davantage des actes politiques que juridiques. Le président de l’UPG, lui, revient sur les fondements de la République. Il met la justice au défi de jouer son rôle de contre-pouvoir politique. Et entend éprouver l’attachement du président de la République à «la vertu».
Président Moukagni-Iwangou lors d'une rencontre à Kinguélé avec le peuple de l'UPG |
Du coup, on se souvient que cette saisine met le procureur général près la Cour de cassation sous pression. On se remémore que le Conseil supérieur de la magistrature désigne les membres de la Haute Cour de justice et qu’il est présidé par… le président de la République.
Autant de réalités qui, en République, n’ont rien de rédhibitoires. Et pour cause : bien qu’elle soit une chose très pénible, «la vertu» en politique est un renoncement à soi-même, l’amour des lois et de la patrie, le primat de l’intérêt public sur l’intérêt particulier.
En revanche, «l’honneur» édicte des principes tels que l’obéissance au prince. Apprise non pas à l’école mais dans les salons feutrés, cette notion appartient à la monarchie dont elle est un des fondements. Elle ne s’accommode donc que trop difficilement de la République. Il en va de même pour la «crainte», qui relève d’une absence d’éducation et n’a cours que dans les régimes despotiques. Or, jusqu’à preuve du contraire, le Gabon se veut une République.
Le positionnement institutionnel du président de la République fait qu’il soit pénalement irresponsable et que le pouvoir judiciaire ait quelque difficulté à connaître d’affaires le mettant en cause. Et les juges ont trop souvent tendance à se poser en supplétifs du pouvoir exécutif. Mais Jean de Dieu Moukagni Iwangou n’en a cure. Il affirme vivre en République. Et, croit connaître les fondements de cette notion. Si l’opinion s’est toujours émue d’une supposée connivence entre l’exécutif et le judiciaire, l’onde de choc de «l’affaire Péan» ébranlera inévitablement les fondements de notre édifice institutionnel. La suspicion populaire à l’endroit des institutions se généralise. Et la crise de confiance menace le pacte républicain. De nos institutions, d’aucuns attendent désormais une implication vigoureuse voire un engagement. Quel que soit le devenir des actions intentées par le président de l’UPG, l’on peut d’ores et déjà craindre que la justice n’en sorte indemne.
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