François Hollande et la Françafrique
Un mois après la chute du dictateur burkinabé Blaise Compaoré, emporté par une vague de protestations populaires, il est difficile de mesurer la volonté réelle du président français d’engager un nouvel élan diplomatique en faveur de la démocratisation de certains régimes autoritaires soutenus par la France. Ses propos récents au Sommet de la francophonie de Dakar dissuadant publiquement les chefs d’Etat africains de modifier leur Constitution pour se maintenir au pouvoir apparaissent comme une démarche nécessaire mais insuffisante et non dénuée d’ambiguïté, quand, dans le même temps, la France ose, au nom d’une supposée «stabilité» afficher des relations «excellentes» avec certaines des pires dictatures du continent. A l’exemple du Tchad d’Idriss Déby, objet de toutes les attentions diplomatiques françaises et invité de poids du Forum pour la paix et la sécurité en Afrique qui s’ouvre, ce lundi 15 décembre, à Dakar.
Alors que la première moitié du mandat de François Hollande a démontré un fort niveau de tolérance à l’égard de régimes mis à l’index, il est à craindre que cette prise de position ne s’inscrive dans les mêmes limites que le discours de La Baule de François Mitterrand en 1990 : une volte-face diplomatique sans contenu opérationnel provoquée par les événements, ici le soulèvement burkinabé de 2014. Les autorités françaises, ne l’oublions pas, ont attendu le dernier moment pour «lâcher» Compaoré et ont participé à son exfiltration vers la Côte-d’Ivoire.
La première limite du discours de Hollande, c’est qu’il ne s’attaque qu’aux régimes ou aux chefs d’Etat susceptibles de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Ceux qui ont déjà modifié ladite Constitution ou qui ne sont pas limités par elle sur le nombre de mandats peuvent donc se sentir toujours à l’abri. C’est le cas d’Idriss Déby au Tchad, de Paul Biya au Cameroun, au pouvoir depuis 1982, d’Ali Bongo au Gabon et de Faure Gnassingbé au Togo, qui ont perpétué par une succession dynastique des régimes quarantenaires.
En laissant opportunément la place à un parent, ou à un proche pour que la succession soit plus discrète sans modifier la nature du régime en place, les chefs d’Etat prendront certes le risque d’être un peu sermonnés pour la forme mais seront-ils désavoués pour autant s’ils continuent à servir les intérêts français ?
A l’heure du Forum sur la paix et la sécurité en Afrique de Dakar, qualifié de «Davos de la sécurité» par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui y participera, les contours de la nouvelle ligne diplomatique annoncée par François Hollande sont à mettre en balance avec d’autres pratiques qui perdurent et se renforcent depuis 2012. Depuis que le tournant de la guerre au Mali a conduit la France, sous l’influence de l’Etat-major à densifier son implantation militaire en Afrique sous le prétexte ambigu de «lutte contre le terrorisme».
La promotion tous azimuts d’une diplomatie économique tournée vers une Afrique considérée comme une terre d’avenir pour la France, doublée du repositionnement durable de l’armée française sur le continent, constitue, en effet, autant de tendances lourdes de la politique africaine de François Hollande.
«C’est important de dire combien le Tchad représente un facteur de stabilité et c’est ce facteur de stabilité que nous continuerons de soutenir»,déclarait le 22 novembre le Premier ministre français à Idriss Déby, à l’occasion d’un déplacement au Tchad. Venu rendre hommage aux soldats de l’opération Barkhane, dont le commandement est implanté à N’Djamena, Manuel Valls ne laissait ainsi aucune ambiguïté sur l’appui politique que la France est disposée à fournir à un chef d’Etat arrivé et maintenu au pouvoir par la force depuis 1990, et dans l’armée duquel des coopérants militaires français opèrent encore sous uniforme tchadien. Manuel Valls qualifiait même la relation de la France avec une des pires dictatures du continent d’«exceptionnelle», comme pour enfoncer le clou après les critiques adressées à Laurent Fabius par des associations comme Survie lui reprochant d’avoir vanté les «excellentes» relations de la France avec le régime de Blaise Compaoré.
Cette «politique de la stabilité», inspirée par De Gaulle et toujours promue par l’exécutif français, a privé de liberté des générations de citoyens africains, qui, sous le patronage de la Françafrique, ont connu une longue suite de crises politiques, militaires, humanitaires, sans oublier la répression et l’exil. Comme l’a démontré la chute soudaine du régime Compaoré au Burkina Faso, trois ans après celle de Ben Ali en Tunisie, elle est indéniablement à bout de souffle.
Alors que les mouvements sociaux sont en ébullition au Tchad, au Gabon, au Togo, et que leurs regards sont en partie tournés vers Paris, il n’est donc pas possible de se contenter du verre à moitié plein des déclarations de François Hollande. Des actes doivent désormais succéder au plaidoyer français en faveur de l’alternance pour marquer réellement l’amorce d’une nouvelle politique sans complaisance vis-à-vis des dictateurs.
Coordinateur de «Françafrique, la famille recomposée», éditions Syllepse, 2014.
La première limite du discours de Hollande, c’est qu’il ne s’attaque qu’aux régimes ou aux chefs d’Etat susceptibles de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Ceux qui ont déjà modifié ladite Constitution ou qui ne sont pas limités par elle sur le nombre de mandats peuvent donc se sentir toujours à l’abri. C’est le cas d’Idriss Déby au Tchad, de Paul Biya au Cameroun, au pouvoir depuis 1982, d’Ali Bongo au Gabon et de Faure Gnassingbé au Togo, qui ont perpétué par une succession dynastique des régimes quarantenaires.
En laissant opportunément la place à un parent, ou à un proche pour que la succession soit plus discrète sans modifier la nature du régime en place, les chefs d’Etat prendront certes le risque d’être un peu sermonnés pour la forme mais seront-ils désavoués pour autant s’ils continuent à servir les intérêts français ?
A l’heure du Forum sur la paix et la sécurité en Afrique de Dakar, qualifié de «Davos de la sécurité» par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui y participera, les contours de la nouvelle ligne diplomatique annoncée par François Hollande sont à mettre en balance avec d’autres pratiques qui perdurent et se renforcent depuis 2012. Depuis que le tournant de la guerre au Mali a conduit la France, sous l’influence de l’Etat-major à densifier son implantation militaire en Afrique sous le prétexte ambigu de «lutte contre le terrorisme».
La promotion tous azimuts d’une diplomatie économique tournée vers une Afrique considérée comme une terre d’avenir pour la France, doublée du repositionnement durable de l’armée française sur le continent, constitue, en effet, autant de tendances lourdes de la politique africaine de François Hollande.
«C’est important de dire combien le Tchad représente un facteur de stabilité et c’est ce facteur de stabilité que nous continuerons de soutenir»,déclarait le 22 novembre le Premier ministre français à Idriss Déby, à l’occasion d’un déplacement au Tchad. Venu rendre hommage aux soldats de l’opération Barkhane, dont le commandement est implanté à N’Djamena, Manuel Valls ne laissait ainsi aucune ambiguïté sur l’appui politique que la France est disposée à fournir à un chef d’Etat arrivé et maintenu au pouvoir par la force depuis 1990, et dans l’armée duquel des coopérants militaires français opèrent encore sous uniforme tchadien. Manuel Valls qualifiait même la relation de la France avec une des pires dictatures du continent d’«exceptionnelle», comme pour enfoncer le clou après les critiques adressées à Laurent Fabius par des associations comme Survie lui reprochant d’avoir vanté les «excellentes» relations de la France avec le régime de Blaise Compaoré.
Cette «politique de la stabilité», inspirée par De Gaulle et toujours promue par l’exécutif français, a privé de liberté des générations de citoyens africains, qui, sous le patronage de la Françafrique, ont connu une longue suite de crises politiques, militaires, humanitaires, sans oublier la répression et l’exil. Comme l’a démontré la chute soudaine du régime Compaoré au Burkina Faso, trois ans après celle de Ben Ali en Tunisie, elle est indéniablement à bout de souffle.
Alors que les mouvements sociaux sont en ébullition au Tchad, au Gabon, au Togo, et que leurs regards sont en partie tournés vers Paris, il n’est donc pas possible de se contenter du verre à moitié plein des déclarations de François Hollande. Des actes doivent désormais succéder au plaidoyer français en faveur de l’alternance pour marquer réellement l’amorce d’une nouvelle politique sans complaisance vis-à-vis des dictateurs.
Coordinateur de «Françafrique, la famille recomposée», éditions Syllepse, 2014.
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