Cet article de Ashe Ema, qui force mon admiration, a été tiré de l'hebdomadaire "La Une" du 30 juin 2017. Tout en vous invitant à acquérir ce journal, avec l'aimable courtoisie de «la Une», je vous invite à lire cet article que republie ci dessous. Il est riche d'enseignement.
Bonne lecture.
La République en danger
Quelle place occupe la violence aujourd’hui dans la vie de notre Nation ? Est-il exagéré de dire qu'elle s’y est dangereusement installée aux premières loges ? Est-il faux d’affirmer qu’elle devient le recours ultime autant de ceux qui réalisent aujourd’hui que la détention du pouvoir ne leur garantit plus la moindre tranquillité, que de ceux qui en face estiment avoir trop subi pour continuer à ne pas réagir par la même violence ? Le fait est pourtant qu’elle s’exerce désormais de manière banale, avec une échelle sans cesse grandissante.
La première des violences vécue au Gabon est celle qui consiste pour les gouvernants à retourner le pouvoir contre une population qui est pourtant censée le leur avoir confié pour l’exercer à sa place. Les actuels sont si conscients du fait que leur pouvoir n’émane pas du peuple et si déterminés à le conserver à tout prix qu'ils ont coupé le pays en deux.
D’un côté, ceux qui détiennent une parcelle plus ou moins grande d’autorité et qui l'exercent de manière unidirectionnelle. Non pas en tant que dépositaires d'une puissance à égale distance de tous les autres citoyens, mais détenteurs des meilleurs leviers répressifs pour soumettre les autres membres du corps social en jouant de la solidarité et de la complicité. La loi et la punition ne s'appliquent pas à eux même s'ils sont coupables de graves actes répréhensibles connus de tous. Tant pis si la neutralité de l'administration qu'on clame sur tous les toits s'en trouve écornée. Tant mieux si pour justifier cette solidarité entre copains au pouvoir, des statuts nouveaux jusque-là inexistants dans une République comme le père de la première dame, justifient qu'un ambassadeur prenne fait et cause pour un citoyen agressé dans la rue par un autre Gabonais dans une altercation hors du pays entre compatriotes. Tant pis si on cultive un fort ressentiment dans la population en y créant une caste d’intouchables se promenant fièrement dans les rues avec de gros scandales impunis accrochés à leur cou comme les détournements massifs, l’enrichissement soudain et inexpliqué que seul justifie la proximité des caisses de l’Etat.
De l’autre, il y a ceux qui ressentent comme leur rejet à la périphérie des droits, le sentiment qu'il y aurait des Gabonais plus gabonais que d'autres, que certains seraient soumis à la loi et d'autres pas, que ceux qui crient leur colère dans la rue peuvent être arrêtés, torturés, humiliés, emprisonnés alors que d’autres qui ont pillé l’Etat et blanchi leur rapine en achetant des immeubles à l’étranger peuvent se la couler douce. A cette violence de réduire les autres citoyens à des sans loi s'ajoute une autre encore plus forte et plus révoltante. Celle de se voir imposer la négation des actes volontairement commis et aux effets de drames dans les familles. Pour le pouvoir, il ne s'est rien passé dans la nuit du 31 août 2016 à Libreville. Or, tout porte à croire dans les faits qu’un carnage a été opéré au quartier général de campagne de Jean Ping. Les faits indiquent qu’en les rabattant, des centaines et des centaines manifestants ont été volontairement poussés à s’entasser dans l’espace réduit de la cour de cet immeuble pour mieux les arroser avec des grenades et des fusils automatiques. Ceux qui ont vécu cet holocauste parlent, racontent, estiment à des centaines de morts le bilan de cette boucherie que le pouvoir nie. D’autres, pour avoir été là et avoir eu la chance de ne pas se faire ‟plomber” ont été arrêtés, physiquement et moralement agressés. Ils en portent encore les stigmates sur le corps et dans les esprits. Ils connaissent les gens qui les ont traumatisés et maltraités, par le seul avantage d’être du bon côté du fusil et de s’être décrétés propriétaires de l’Etat ou l’Etat lui-même. Nier la mort d’un enfant qu’on sait avoir abattu dans la rue est très violent pour son parent.
Le silence coupable du parti au pouvoir
Sans excuser ni absoudre, on comprend pourquoi le refus de soumission à ces agressions répétitives et impunies peut engendrer des actes inconsidérés. On comprend comment un jeune homme qui a subi les affres de la torture dans les geôles des polices d’Etat, qui a été réduit à ruminer sa rancœur dans un pays où il ne peut et ne doit ni se plaindre, ni revendiquer peut devenir hystérique de colère face à un des représentants plus ou moins lointain de ce pouvoir. Surtout si l’homme en face de lui, convaincu de son impunité naturelle de proche du pouvoir, a eu le culot de l’insulter publiquement.
On comprend aussi comment des Gabonais, profitant de l’espace de liberté que leur offre la démocratie américaine, peuvent s’en prendre au Directeur de Cabinet du président de la République dans les rues de New York, et lui dire sans ménagement leur mécontentement et leur refus de le reconnaître comme détenteur d’un pouvoir qu’ils ont librement choisi de déléguer à une autre personne et qu’il exerce par usurpation. Parce que par son exercice au quotidien, l’Etat n’est plus chez nous une délégation de la capacité d’agir. Il s’est personnalisé en groupe de copains qui l’ont solidairement volé et qui se sentent liés dans leurs actes pour la conservation de leurs avantages et acquis en usant et abusant d’outils qui n’auraient jamais dû tomber entre leurs mains. Clairement dit, ils ont réduit l’Etat à eux. Personne ne s’est donc étonné de la réaction elle-même violente du PDG face à cet acte commis par les membres de la diaspora sur leurs compatriotes à la terrasse d’un café parisien. Ce même PDG n’avait pourtant rien dit quand des femmes, mères de famille et épouses humiliées dans leur intimité de femmes, avaient été promenées nues dans la ville, bien en vue à l’arrière d’un pick-up par des policiers à qui elles avaient refusé de payer une taxe indue, créée pour les arnaquer. Ce même PDG avait tout aussi bien gardé le silence quand un jeune homme avait trouvé la mort dans un commissariat de police brûlé vif pour avoir tenté de défendre sa marchandise illégalement confisquée et à laquelle un agent était en train de mettre le feu. Le cynisme est même allé jusqu’à l’accuser post mortem d’avoir voulu importer le printemps arabe au Gabon. Ce même PDG qui n’avait pas appelé au calme et à la raison quand des jeunes affidés du Directeur de Cabinet du président de la République avaient fait circuler une vidéo pour menacer de mort les parents des membres de la diaspora qui avaient bousculé dans la rue le Directeur de Cabinet du chef de l’Etat. Ces actes posés par des amis du PDG sur des personnes qui n’étaient pas membres du PDG. Ils n’avaient de ce fait aucun droit.
Le pays court un risque d’implosion
Il semble évident que ce ne sont pas les plaintes déposées à Paris et New York par les ambassades qui vont arrêter cette dérive qui passe dangereusement de la simple négation de l’autorité, de la simple défiance à la haine. Elles vont tout au plus accentuer ce sentiment de révolte vis-à-vis de personnes qui musèlent la justice chez elles et qui vont tenter de profiter de son indépendance ailleurs pour mieux taire les revendications et asseoir leur autorité par peur de la prison. Nous sommes dans une situation où l’Etat a disparu. Nous sommes dans une étape de la dérive où les antagonismes opposent des hommes aux hommes. Si cela continue, il y a un grand risque d’implosion dans le pays. Aux uns et aux autres, chacun en ce qui le concerne et conscient des armes dont il dispose, de les utiliser au mieux pour sauver ce qui reste de notre République.
In "La Une" du 30 juin 2017
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