Loin de me surprendre, la cour constitutionnelle a, une fois de plus, certainement une fois de trop fait la preuve qu'elle est la gardienne du régime et couvre tous les errements de cette dictature. L'éminent juriste Moukagni Iwangou, porte plume juridique de Pierre Mamboundou qui est à l'origine de la loi sur la haute cour de justice, sort de sa réserve. Lisez, vous ne serez pas déçu.
«LA DECISION D’INTERPRETATION DE L’ARTICLE 78 DE LA CONSTITUTION
Entre jeu de rôles et contre feux.
Pierre Vergniaud et Pierre Mamboundou sont les deux Césars, à qui je dois rendre le mérite qui leur appartient.
Le premier, pour sa boutade prononcée en 1793 devant la Convention, qui a forcément œuvré à légitimer les commentateurs des décisions de justice dans notre tradition juridique, lorsqu’il a dit, je cite, ‘’quand la justice a parlé, l’humanité doit avoir son tour’’.
Le deuxième pour m’avoir offert le privilège historique de tenir sa plume, lorsque dans le secret de sa réflexion, il a décidé d’entreprendre la réforme de la loi sur la haute cour de justice.
Saisie par le Gouvernement, le 10 mars 2017, pour interpréter les dispositions de l’article 78 de la loi fondamentale, la Cour Constitutionnelle s’est prononcée le 13 mars 2017, par une Décision portant la référence n°003/GCC.
De cette décision, l’on retient pour l’essentiel, qu’à l’exception du Chef de l’Etat qui est exempté de toutes poursuites pénales, pendant et après ses fonctions, les Présidents et Vice-présidents des corps constitués, les membres du Gouvernement et les juges de la Cour Constitutionnelle ayant cessé d’exercer, perdent le privilège d’être jugés par la haute cour de justice, et de ce fait, répondent devant les juridictions de droit commun, pour les faits délictueux commis dans l’exercice de leurs fonctions.
En replaçant les choses dans le contexte qui a prévalu à la réforme, et en observant le moment de la consultation de la haute juridiction, les professionnels du droit et même ses usagers occasionnels comprendront, à la fois, les tenants de la saisine du Gouvernement, et les aboutissants d’une décision à la lecture de laquelle, la dérision se mêle et banalise le sacré.
A la racine des choses, il y a l’année 2006. Une folle rumeur s’était répandue dans tout le pays, faisant allusion à une opération de cession d’une partie du territoire national. Avérée que cette cession aurait été entreprise, elle était constitutive d’une haute trahison.
Toutes affaires cessantes, Pierre Mamboundou a décidé de saisir la haute Cour de justice.
En convoquant la loi 11/83 du 31 décembre 1983 déterminant la composition et les règles de fonctionnement de cette juridiction, deux dispositions vont l’arrêter.
La première est l’article 1er, qui exposait que « la Haute cour de justice se compose d’un président et de six juges titulaires. Elle comprend en outre quatre juges suppléants. Les juges titulaires et les juges suppléants sont élus à parts égales en leur sein par le comité central du Parti Démocratique Gabonais et l’assemblée nationale (…) ».
La deuxième disposition est l’article 2, dont on doit retenir, que « le président de la Haute cour de justice est nommé par décret du Président de la République. Il est choisi soit parmi les députés, soit parmi les membres du comité central, soit parmi les magistrats de l’ordre judiciaire, soit indépendamment de toute appartenance en raison de sa compétence et de son dévouement aux intérêts supérieurs de l’Etat. Le président de la Haute cour de justice est assisté d’un vice-président nommé dans les mêmes formes et conditions. »
Ainsi donc, seize ans après le passage au multipartisme, Pierre Mamboundou découvrait en 2006, que la haute cour de justice était demeurée un instrument du parti unique, qui participait à l’exclusion de tous les autres, à la désignation des juges, qu’il nommait d’abord dans ses propres rangs.
Contraint de céder sur les formes, avec la ferme volonté de tout conserver sur le fond, l’histoire de la réforme porte la marque de la résistance du régime à une mutation systémique qui s’est imposée à lui, et qu’il cherche à rattraper d’une main, après l’avoir perdu de l’autre.
Voilà comment et pourquoi, la réforme qui ne devait être qu’une simple opération d’actualisation de la loi, s’est révélée un véritable chemin de croix. Comme chacun va le vérifier.
Déterminé à doter son pays d’un instrument utile, Pierre Mamboundou a déposé l’avant projet de loi portant réforme de la haute cour de justice, dans le courant de l’année 2006.
Soumise aux navettes parlementaire et administrative, la nouvelle loi a été votée en 2010, c'est-à-dire quatre ans après le dépôt de la proposition.
En vertu des dispositions de l’article 17 de la constitution, le Président de la République promulgue les lois définitivement adoptées dans les vingt cinq jours de leur transmission au Gouvernement.
En lisant entre les lignes, pour décoder les enseignements utiles, les initiés témoignent, qu’en portant les références n°49/2010 du 25 septembre 2011, la réforme de la haute cour de justice a été votée en juin 2010, mais n’a été promulguée que le 25 septembre 2011, soit quatorze mois après son adoption.
Et comme il faut aller au bout de tous les décomptes, le devoir de vérité commande de relever, que sept ans après l’adoption de la réforme, et six ans après sa promulgation, la haute de justice n’est toujours pas mise en place par les autorités de nomination, que sont, le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat.
Levier essentiel de la bonne gouvernance, exigible au premier chef, aux personnalités titulaires des fonctions énumérées à l’article 78 de la constitution, la haute cour de justice, même contrôlée par le régime lui-même, n’est visiblement pas la bienvenue au Gabon.
Depuis peu, une opération mains propres a été déclenchée, pour regarder à la délicatesse des membres du Gouvernement et des titulaires des emplois supérieurs, dans leur gestion des deniers publics, au titre du dernier septennat.
Devant la foire d’empoignes, qui promet de s’ouvrir très largement au sein du personnel justiciable devant la haute cour de justice, la diligence du Premier Ministre a tout d’un tir de barrage.
La logique est connue. Les juridictions d’exception ont ceci d’exceptionnel, qu’elles sont instituées pour protéger le régime dans ses propres errements, de l’intérieur, en coupant les têtes qui dépassent, à l’extérieur, en endiguant les contempteurs dans leurs élans, et surtout, en vouant aux gémonies ceux qui ont cessé d’être en bon commerce avec le système.
Dans son office, tout juge vérifie sa compétence, qui se détermine en considération de la nature des faits dénoncés, en considération du lieu de la commission des faits, et en considération du statut des personnes incriminées.
En premier lieu, il s’interroge sur la question de savoir, si les faits à lui déférés rentrent dans les matières relevant de son domaine d’intervention. C’est la compétence matérielle.
En deuxième lieu, il s’assure si, en raison du lieu de la commission des actes, du lieu de l’arrestation des auteurs, ou du lieu de l’arrestation des complices, ces faits ne relèvent pas de la compétence du juge d’un autre ressort. C’est la compétence territoriale.
En troisième lieu, tout juge s’avise de savoir, si en considération des fonctions exercées par l’auteur, les faits poursuivis ne rentrent pas dans la compétence d’une juridiction spéciale. C’est la compétence personnelle.
A cette dernière occurrence, les plaideurs constitués dans les premières affaires ouvertes au titre de l’opération Mamba ont soulevé cette question devant le juge judiciaire.
En décidant de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle, sans attendre la décision du juge judiciaire dûment saisi sur la question, le Premier Ministre, à s’y méprendre, a pris le parti d’endosser son rôle de fusible, chargé de protéger la citadelle.
Avec la précaution qui sied à ce niveau de responsabilité, il a choisi de s’adosser sur la Cour Constitutionnelle. Comme pour prendre à son compte l’adage qui dit, à ‘’chacun son métier et les vaches seront mieux gardées’’.
S’il faut savoir gré à Issoze Ngondet quant aux formes, qui tranchent de son illustre prédécesseur qui avait excipé de la loi 11/83 du 31 décembre 1983 en pleine année 2015, il reste que la manœuvre utilisée est un modèle d’entrave, qui dévoile, sinon le mépris, à tout le moins le doute de l’exécutif sur la docilité du juge judiciaire.
En le contraignant, ou de se plier ou de résister devant le juge constitutionnel, l’interprétation préconisée instille un conflit potentiel de juridictions, qui ajoute aux blocages devant la porte de la haute cour de justice. Que le régime se refuse obstinément à ouvrir.
Dans un Etat de droit, qui doit garantir la totalité de l’offre de justice à la totalité de la demande de justice, l’assaut d’arguties multipliées par les hautes autorités à appliquer la loi met en lumière, plus d’une réalité.
A n’en point douter, cette situation rompt l’égalité des citoyens devant la loi, et de ce fait, touche au fondement de la république.
Forcement, elle témoigne d’une volonté manifeste de priver les usagers, qui entendent s’y pourvoir, de la possibilité de saisir le juge naturel, dans une matière qui n’offre aucune disposition transitoire.
Évidemment, elle montre la faculté que se réserve le pouvoir, à couvrir d’une impunité manifeste, faute de juges, les membres du régime en place, et à jeter aux orties, tous les consorts qui seraient tentés de rompre le rang.
Sur le fond, la décision du 13 mars 2017 a arrêté que les personnels justiciables de la haute cour de justice ayant perdu leurs fonctions, répondent devant les juridictions de droit commun, pour les actes posés dans lesdites fonctions. Cette décision ne fera pas école.
Sacré pied de nez à sa Présidente, cette décision parasite la distinction qui vient de lui être faite, et qui est de nature à montrer au monde entier qui va désormais savoir, que sa nomination ne tient en aucun cas, aux bonnes pratiques qui ont cours au sein de sa juridiction.
Pour s’en convaincre, il suffit de convoquer le droit comparé, pour découvrir que l’article 78 de notre loi fondamentale est écrit à l’identique de l’article 68-1 de la constitution de Française.
Pour être définitivement édifié, il importe de vérifier que sur la préoccupation qui nous concerne, la Cour de justice de la République, la sœur jumelle de France, a systématiquement retenu sa compétence pour les actes accomplis dans leurs fonctions, qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis, par des membres du Gouvernement ayant cessé d’exercer.
A ce propos, et afin que nul n’en ignore, les Gabonais doivent savoir :
Qu’en 1999, pour l’affaire du sang contaminé dont les faits remontaient à l’année 1985, la Cour de justice de la République a retenu sa compétence et a jugé Monsieur Laurent Fabius, Premier Ministre au moment des faits, Madame Georgina Dufoix, Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité au moment des faits, et Monsieur Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé au moment des faits.
Qu’en l’an 2000, pour des faits de diffamation remontant à 1997, la Cour de justice de la République a retenu sa compétence et a jugé Madame Ségolène Royal, parce qu’elle était ministre déléguée à la Famille au moment des faits.
Qu’en 2004, pour un détournement remontant aux années 1990, la Cour de justice de la République a retenu sa compétence et a jugé Monsieur Michel Gillibert, parce qu’il était Secrétaire d’État aux handicapés au moment des faits.
Qu’en 2010, pour des faits remontant aux années 1993, la Cour de justice de la République a retenu sa compétence et a jugé Monsieur Charles Pasqua, parce qu’il Ministre de l’Intérieur au moment des faits.
Qu’en 2016 enfin, pour des faits remontant à un arbitrage rendu en 2008, la Cour de justice de la République a retenu sa compétence et a jugé Madame Christine Lagarde, parce qu’elle était ministre de l’Économie au moment des faits.
En m’inclinant devant leurs robes, qui marquent le symbole de la vertu, les juges de la Cour Constitutionnelle suscitent ma profonde inquiétude.
Invités à interpréter l’article 78 de la constitution, ils sont parvenus à la méfiance des citoyens envers toute la justice, qu’ils sont désormais les premiers à desservir.
Du devoir d’ingratitude, qu’ils doivent opposer aux errements du régime, ils en apparaissent comme la caution, quand les faits ne les confondent pas désormais dans le statut de complices.
Devant le rendez-vous de l’histoire, il est urgent qu’ils sortent des accommodements de court terme pour regarder à l’avenir.
Je m’appelle MOUKAGNI-IWANGOU.
Je suis né à MOUILA.
Je réside dans la Commune d’AKANDA.
Je suis prêt à répondre de l’ensemble de mes actes.»
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