Du système économique néocolonial à une oligarchie corrompue,
omniprésente et prédatrice.
Au
lendemain des indépendances, il ne restait aux africains qu’une façade
d’ambitions et d’espoirs à réaliser une fois le colonisateur parti. Pour
certains l’indépendance symbolisait la fin de l’humiliation, de l’exploitation,
du contrôle de l’étranger sur les décisions importantes, la fin de la misère et
de la dégradation qui avaient accompagné la domination étrangère. En tout cas
pour la majorité, l’indépendance signifiait la fin des contraintes, le retour
au mode de vie traditionnel ou, au mieux, une vague tentative d’harmoniser la
modernisation souhaitable et les attitudes et talents hérités d’une société
indigène privée depuis longtemps de la liberté de choisir sa propre voie. Mais
pour les minorités qui ont reçu le pouvoir, le changement avait un tout autre
sens. Il offrait l’occasion de s’enfermer dans un mimétisme sans nom en faisant
preuve d’un manque flagrant de créativité. L’objectif étant de hâter
l’occidentalisation, l’indépendance (ou autonomie) offrait des vastes champs
d’imitation des manières ou des méthodes de gouvernement héritées des
colonisateurs. Plus souvent conseillés par les maîtres intéressés que par des
fonctionnaires soucieux de l’avenir du pays, les ténors du pouvoir ont
appliqué, tout au long de leur règne, des remèdes choisis dans l’expérience des
pays industriels en pensant que ceux-ci donneront des résultats comparables
dans des contextes culturels, sociaux et raciaux considérablement différents.
Les arguments de ce type indiquent clairement un souci de statu quo qui confine
à l’obsession et dénotent une philosophie défensive face à la transformation de
la société africaine. Ils révèlent surtout une certaine incapacité à adopter
une attitude dynamique, à prendre des risques ou à affronter les changements.
Ces minorités au pouvoir n’ont été que trop disposées à croire aux déclarations
internationales d’après guerre. Ils ont pris au mot les déclarations des
colonisateurs qui promettaient des compensations à l’exploitation passée. L’idéalisme,
la naïveté et l’opportunisme ont probablement contribués à les convaincre que
l’heure du monde-providence avait sonné. Comme on aurait pu le croire, la
modernisation et l’occidentalisation devaient être accélérées par une
assistance fournie par l’ancienne puissance impériale.
Finalement, certaines actions charitables de
la France envers le Gabon, n’ont contribué qu’à prolonger des illusions. On
peut, en effet, douter en termes pratiques la valeur de l’aide apportée au
Gabon par la France. Si ce n’est que pour servir les besoins de puissance,
d’influence et de prospérité du pouvoir local et les appétits financiers des
partis politiques français.
Samir Gharbi de
Jeune Afrique l’Intelligent estime que «Plus
de 70 % des crédits qualifiés d'aide au développement sont servis de façon
bilatérale. Cela signifie que l'essentiel de l'argent retourne aux pays
donateurs pour payer les salaires des experts et autres consultants et les
marchandises achetées à ces mêmes pays. Très peu de « cash » va en fait aux pays
bénéficiaires auxquels revient, une fois le crédit déboursé, la gestion du
projet, c'est-à-dire la prise en charge des dépenses courantes et... de la
maintenance (achat de pièces détachées, experts en réparation...).
Un projet d'aide au développement génère
donc - en retour vers les pays donateurs - des transferts financiers plus
importants que le montant de l'aide elle-même. Il en va de même - sauf que la
procédure est indirecte - pour les projets financés par les institutions
multilatérales. Pour que l'aide serve vraiment l'intérêt des pays pauvres, il
faudrait que l'argent qui rentre par la porte ne sorte pas par la fenêtre, mais
soit recyclé sur place ».
D’après
François Xavier Verschave,
moins de 5% de l’aide public au développement servent à lutter contre la
pauvreté. Le reste, c’est à dire 95%, par l’entremise des projets improductifs,
ruineux, inadaptés, inachevés ou délabrés faute de maintenance et les éléphants
sont partagés entre le dictateur et les parents français partenaires de
l’escroquerie. Cette boutade de
Verschave résume à elle seule le mécanisme de dévoiement de l’aide publique au
développement :
L’aide publique au développement consiste à prendre l’argent des
pauvres des pays riches pour le donner aux riches des pays pauvres… parce que
les riches des pays pauvres en rendent une bonne partie aux riches des pays
riches qui organisent l’opération.
«La taille de la bouée doit être
proportionnée au corps qu’il s’agit de maintenir à flot». Cette réflexion
de Tibor Mende, résume, à suffisance et à n’en point douter, toute la mécanique
de l’aide ou de la coopération au développement de la France avec ses anciennes
colonies.
En
effet, ce qui est donné, et cela peut se calculer, a peu de chance de
représenter plus que ce qui est nécessaire pour améliorer légèrement la
capacité du Gabon à assurer le service de la dette, (qui est contractée pour
des projets improductifs et des détournements divers) ou, à payer les bénéfices
des investissements privés.
Une
parenthèse nécessaire s’impose ici, pour présenter le mécanisme de dévoiement
de l’aide. F-X Verschave l’a si bien synthétisé :
La France par un intermédiaire
propose au dictateur un avion Mystère 20, ou lui construit une usine de pâte à
papier improductive, on rénove son DC8 personnel et finalement on paye la
facture avec l’argent de l’aide publique au développement.
Ce
que l’on oublie souvent ce que la mémoire collective pense que l’APD est
constitué uniquement des dons. Or l’APD prends presque toujours la forme d’un
prêt bonifié. C’est à dire que si l’usine improductive que la France vous vends
coûte par exemple un million de dollars, et que l’ensemble du remboursement
(prêt+intérêts) valent 1,5 millions de dollars, on vous compte en APD l’élément
don, c’est à dire l’avantage total consenti en terme de réduction d’intérêts,
de différé de remboursement et autres commissions occultes. Une telle aide
n’est bonne qu’en apparence. Une telle proposition pousse à l’acte d’achat un
peu comme, selon les termes de Verschave, un promoteur douteux vend à crédit
une villa clefs en main à un ménage peu fortuné : il fait du chiffre
d’affaire en sachant qu’il se rattrapera sur l’hypothèque lorsque le ménage
croulera sous les dettes.
Bien
souvent l’on pense que l’aide est un élément catalyseur permettant le
développement de l’ensemble. C’est une illusion de plus, car l’aide est
inextricablement lié à d’autres éléments de la politique des pays donateurs.
Son acceptation implique presque toujours l’adhésion à l’objectif global de ces
politiques. Très souvent les aspects nuisibles de l’aide, (mise en quarantaine
de l’indépendance, obligations difficiles à tenir, engagements divers),
contrebalancent les aspects dits positifs de celle-ci. En fait aussi ne sert
qu’a lutter contre le développement en déresponsabilisant et en corrompant les
autorités des pays aidés, en camouflant le bradage des matières premières et en
alourdissant le fardeau de la dette financière.
On devient de ce fait recolonisé, car la souveraineté dans ces cas reste
limitée.
Le
rapport jeanneney :
[le commerce triangulaire obligatoire].
… lorsqu’un pays de la zone franc CFA
a exporté vers un pays étranger, les devises qu’il reçoit sont transformés par
la France en francs cfa, et viennent donc grossir les réserves françaises en devises.
Lorsqu’il doit effectuer un payement à l’étranger la France lui revend des devises
contre des francs. En quoi cela est-il avantageux pour la France ?
Il l’est fondamentalement dans
deux hypothèses :
1°) Lorsque les créances
françaises exigibles à l’encontre des pays de la zone franc (résultant
notamment des exportations [françaises] vers ces pays) sont inférieures aux
dettes françaises exigibles (résultant notamment des importations [françaises]
en provenance de ces mêmes pays, le système permet à la France de régler le
déficit de sa balance simplement par des inscriptions de francs au crédit de
ses partenaires. Ces derniers sont ainsi amenés à lui faire automatiquement
crédit s’ils ne lui achètent pas assez pour équilibrer les balances.
2°) Lorsque les pays de la zone
franc CFA exportent vers l’étranger plus qu’ils n’importent, ils procurent à la
France des devises. ( in La politique de coopération avec les pays en voie de
développement, Rapport Jeanneney, Paris La documentation française, 1963 cité
par Rémi Godeau in Le franc CFA, pourquoi la dévaluation de 1994 a tout changé
p39-40)
En
termes clairs, si le Congo Brazza veut vendre son pétrole aux états unis. Les
états unis payent le Congo par l’intermédiaire du trésor français en dollars.
Le trésor français après avoir fait sa balance de payement par rapport au Congo
lui reverse l’excédent en Francs CFA. Les dollars restent en France et le Congo
prend les francs CFA qui sont imprimés en France. Quand le Congo voudra acheter
des voitures japonaises, il doit s’adresser à la France qui lui vendra ses
devises (des dollars) pour effectuer l’achat ou la France achètera pour le
Congo en équilibrant sa propre balance des payements avec le japon. Par la
suite, la France revendra, en quelque sorte, ces voitures au Congo par l’intermédiaire
de la balance des payements entre ces deux pays. On s’en doute la balance ne
peut jamais être déficitaire pour la France, car elle touche la prime à la
devise, les commissions de transfert et d’achat, de même que les commissions
bancaires. En d’autres termes aucune ancienne colonie française ne peut acheter
ou vendre sans l’onction de la France, Pascal Lissouba l’a compris à ses
dépends. Si ce n’est pas du néo-colonialisme et de la domination alors qu’on
nous dise ce que c’est.
C’est
pour maintenir ce statu quo, qu’au lendemain des indépendances africaines, la
France a construit et renforcé la toile de ses relations avec les anciennes
colonies, sur tous les plans. Elle a étendu une mainmise paternaliste,
finalement étouffante, à travers une présence culturelle, économique et
militaire.
C’est pourquoi, au travers des sommets
franco-africains, de la création et du renforcement de l’espace francophone,
elle impose sa culture, celle de «nos
ancêtres les Gaulois », par la langue française. Elle contrôle en
outre nos moribondes économies par l’omniprésence des firmes multinationales,
en particulier pour le Gabon, dans les domaines forestiers, pétrolier et
bancaire. Enfin, sous le couvert de la prévention et de la résolution des
crises de nos Républiques bananières (crises qu’elle laisse parfois éclater
comme au Rwanda en 1994, pour mieux montrer son lyrisme humanitaire), elle
tente de faire l’apologie des léonins accords de coopération signés avec vingt
trois pays africains. Elle insiste à exister militairement dans nos pays au
motif d’une stabilité politique, quitte à sacrifier les populations africaines
sur l’autel des régimes plus ou moins fréquentables. A quoi sert finalement la
présence militaire française en Afrique si elle ne peut pas prévenir les crises ?
Principalement dans le « pré
carré » (Côte d’Ivoire, Gabon, RCA, Tchad), il s’est fixé dans
l’inconscient collectif des populations, qu’aucune alternance politique n’est
possible sans l’onction de l’establishment français, quelle que soit l’équipe
au pouvoir, de droite ou de gauche. Aussi, la politique française en matière
d’intervention militaire confirme-t-elle cette croyance. Elle la renforce même,
si on analyse les conditions et les conséquences des interventions au Gabon
(c’est le cas qui nous intéresse principalement) en Février 1964 pour remettre
Léon Mba au pouvoir, déposé très facilement par de jeunes soldats du Camp
Baraka de Libreville, ou en Mai 1990 pour sauver la tête d’Omar Bongo, ébranlé
par la colère populaire de Libreville et (surtout) de Port-Gentil, à la suite
de l’assassinat d’un opposant politique.
Si tant est que le pays des droits de l’Homme abrite
des opposants aux régimes africains, certains d’entre eux apparaissent, surtout
depuis le folklorique habillage démocratique de 1990, comme des thalidomides,
c’est-à-dire des régulateurs de tension sociale, permettant ainsi à
l’oligarchie de se maintenir au pouvoir. Pourquoi nos opposants sont-ils si
faibles ? Pourquoi semblent-ils souvent perdre la tête dans les moments cruciaux
et tomber, avec le sourire, dans les compromissions les plus abjectes ? La
France a-t-elle intérêt à changer les cartes politiques de nos Etats ?
Nous avons la prétention de voir comment le double langage, qui consiste à
prôner la sécurité pour le développement (alors qu’on renforce les places
fortes du pillage économique et des trafics en tous genres), et l’ordre au
bénéfice de la société (alors que l’on favorise sa désintégration) ne visent
qu’à paupériser les populations, couvrir les turpitudes de nos dirigeants et
maintenir nos Etats sous dépendance économique, militaire et culturelle.
La France sait de quoi dépend le développement de ses
anciennes colonies et au lieu d’insuffler une véritable dynamique de
développement elle a préféré l’instrumentalisation de l’Afrique en sacrifiant
les indépendances africaines pour conforter la sienne. Pourtant un
développement économique harmonieux de ces anciennes colonies n’est pas une
mauvaise chose pour l’économie française, mais elle préfère le statu quo actuel.
L’analyse de
Tibor Mendé (in l’aide à la recolonisation) peut très bien s’appliquer
dans le cas du Gabon. Cet analyste économique et politique estime :
Que le développement
économique dépend de trois facteurs principaux. Le plus important, et de loin, est
la mobilisation des ressources nationales tant matérielles qu’humaines. Un
autre, bien moins décisif, repose sur les exportations qui fournissent le gros
des devises étrangères nécessaires à l’achat des instruments indispensables à
la modernisation et qui peuvent être produits dans le pays. Bien que
d’importance inégale, l’un et l’autre supposent efforts et sacrifices. Le
troisième outil du développement économique est l’aide. Elle ne demande pas de
sacrifice de la part du bénéficiaire et elle est supposée être offerte
précisément pour alléger l’effort et le sacrifice que représentent soit la
mobilisation des ressources nationales tant matérielles qu’humaines, soit
l’accélération des importations.
Mais ces trois facteurs sont totalement inefficaces si
une gestion rationnelle et rigoureuse des pesanteurs du développement n’est pas
prise en compte. Tibor Mendé distingue les pesanteurs internes et externes
qu’il appelle des freins au développement.
Les pesanteurs externes et
internes ont leur mot à dire dans le développement d’un pays. Les pesanteurs
externes sont inhérentes aux problèmes de type conjoncturels, en d’autres
termes, dépendent du fonctionnement du système économique et financier du monde
soutenu par les puissances dominantes de la planète. Quant aux pesanteurs
internes, elles sont structurelles. Elles sont constituées par une large
variété de causes allant de l’inadaptation des institutions aux attitudes
personnelles ou aux valeurs héritées de la colonisation.
Dans ce sens, le système qui
contient des freins externes au développement exerce également ses effets sur
les obstacles internes. Il peut ainsi diminuer leur obstruction où,
inversement, il peut les prolonger ou même les aggraver. Car les forces
externes qui bénéficient des blocages existants [dans un pays comme le Gabon] sont liées aux forces
internes, qui ont un intérêt direct à la prolongation de ladite situation. Les
deux tendent à se renforcer mutuellement. En fait, le résultat est fréquemment
une véritable alliance entre l’influence extérieure et les forces internes au
profit du conservatisme. Leur dénominateur commun est le désir de maintenir le
statu quo.
C’est ce que fait la France et le clan Bongo. Tibor
Mendé poursuit son analyse :
C’est dans ce contexte que
l’interaction de ces deux partenaires du conservatisme devient apparente. [Les Français] sont poussés par leur
désir de satisfaire leurs intérêts politiques, économiques ou stratégiques. Et
du côté indigène, c’est à dire du clan de Bongo, il en va de même.
Bongo et son clan sont convaincus qu’une telle coopération est la meilleur,
sinon la seule méthode pour parvenir à des objectifs personnels ou nationaux.
La plupart d’entre eux brillent par leur inculture et le désir inavoué
d’imitation des occidentaux. Leur personnalité a été modelée par des relations,
des goûts et des valeurs de l’étranger. Leurs émoluments et autres avantages
matériels reposent sur les modèles «métropolitains». De par leurs habitudes
mentales, ils sont plus à l’aise dans le confort et dans le style de vie des
pays riches que dans le cadre traditionnel de leur propre société. Leur
raffinement importé est devenu incompatible avec les façons de vivre locales.
Leur mépris pour leurs compatriotes non instruits, pauvres et non
occidentalisés ne le cède en rien à celui des dirigeants coloniaux du passé. Le
complexe d’infériorité acquis en singeant leurs anciens maîtres est compensé
par un souci excessif de gloriole et de prestige social. D’où une arrogance,
une condescendance et une rapacité grotesques, le tout justifié par
l’incapacité présumée des exploités à aspirer à la même situation d’expatriés
virtuels qu’ils ont eux-mêmes atteinte. Ainsi, coupés des masses, ils éprouvent
un sentiment d’insécurité et de crainte qui se transforme en une conviction que
tout changement menaçant les privilèges existants jouerait également contre les
intérêts de la communauté, dans son ensemble. N’ayant en règle générale aucune
idéologie, ils préservent uniquement leurs intérêts personnels et sont loyaux à
l’égard de ceux qui contribuent à le satisfaire. Telle est la pente qui conduit
à n’être plus qu’un colonisateur de l’intérieur.
La France de Foccart a bien manœuvré, elle a réussi à
se faire remplacer par des colons internes entièrement dévoués à sa cause pour
uniquement maintenir le Gabon dans la dépendance éternelle.