mardi 12 décembre 2017

Gabon, une junte militaire en costume cravate


Gabon, une junte militaire en costume cravate

11 décembre 2017 

Malgré le multipartisme qui existe au Gabon depuis 1990, le pays est devenu une dictature militaire sous la férule de son président, Ali Bongo, présent à Paris depuis ce lundi 11 décembre pour la conférence climat organisée par la France.

Malgré la conférence de la Baule qui s’était tenue en 1989 sous la présidence de François Mitterrand et où la transition vers la démocratie en Afrique avait été actée, Omar Bongo, le père de l’actuel président Ali, avait été catégorique.: « Moi je vous le dis et je vous le confirme le multipartisme au Gabon Zéro ! Tant que je serai là il n’en aura pas ». Et pourtant Omar Bongo fut bien obligé face à la pression de la rue gabonaise d’organiser une conférence nationale non souveraine qui consacra de fait le retour au multipartisme au Gabon. Le règne du parti unique prit fin qui avait duré vingt deux ans, mais au cours duquel se tenaient des « élections » qui voyaient Omar Bongo, candidat unique, « réélu » régulièrement. En 1973 alors qu’il avait obtenu 110% des suffrages, Omar Bongo s’emportait devant un de ses conseillers « Là, je te dis, ils m’énervent vraiment, ils me mettent trop de pour cent… ».
 Naissance de la junte
Les élections présidentielles qui eurent lieu le 5 Décembre 1993 fontplace au multipartisme. Alors que son principal opposant Paul Mba Abessole, était largement en tête et que le dépouillement n’était pas encore terminé notamment dans la province de l’estuaire où se trouve Libreville la capitale, Bongo se déclara vainqueur avec 51% de voix. Ce, malgré l’opposition de la gouverneure de la province de l’Estuaire Pauline Nyingone également présidente de la Commission provinciale de dépouillement des résultats de l’estuaire qui déclara aux médias : « Au moment où la Commission de l’Estuaire est en train de dépouiller les résultats en présence des représentants de la majorité et de l’opposition, le ministre de l’Intérieur annonce des résultats. De quels résultats s’agit-il ? Où les a-t-il puisés ? Nous n’avons pas encore transmis nos résultats, car nous sommes en plein dépouillement ».
Rien n’y fit. Bongo déploya l’armée sur tout le territoire, le couvre-feu fut vite instauré, les médias de l’opposition détruits, le QG de son principal opposant Paul Mba Abessole qui s’est déclaré président, a formé un gouvernement et même nommé des préfets est attaqué le tout avec des morts à la clé.
Un premier putsch
L’ambassadeur des Etats unis au Gabon de 1990 à 1993, Joseph Wilson IV, raconte dans ses mémoires (Politics of truth) qu’il avait jugé le putsch électoral trop grossier pour que la cour constitutionnelle du Gabon dirigée par Marie Madeleine Mbonrantsuo le valide, c’était mal la connaitre ! L’élection de Bongo est confirmée mais la rue continue de gronder. Le Mardi 22 Février 1994, un autre média de l’opposition « radio télé Liberté » est détruit, des émeutes éclatent. On dénombre des morts y compris dans les rangs de l’armée qui met « le paquet » pour éviter « une congolisation du Gabon ». Les manifestations se poursuivent malgré le déploiement de l’armée et le mercredi 23 Février 1994, le domicile de Paul Mba Abessole également appelé « siloé » est attaqué par l’armée et le principal opposant d’Omar Bongo se réfugie à l’ambassade des Etats Unis.
Au secours de Bongo
C’est alors que se tient selon Joseph Wilson IV à Sao Tomé une « réunion de crise » secrète avec comme participants l’ambassadeur du Portugal, l’ambassadeur des Etats-Unis, Louis Dominici, ambassadeur de France et Paul Mba Abessole. Au cours de cette réunion, message délivré par l’ambassadeur de France est on ne peut plus clair : La France soutiendra Bongo jusqu’à la fin quoi qu’il en coute et Mba Abessole ferait bien de se « ressaisir » surtout qu’alliés stratégiques la France et les Etats unis ne se battraient pas pour le Gabon et que l’ambassadeur des Etats Unis ne pourrait pas éternellement le protéger… Des propos à peine voilés de menaces, qui révoltèrent l’ambassadeur du Portugal et en vint presqu’aux mains avec l’ambassadeur de France. De retour à Libreville, Paul Mba Abessole est « refilé » à l’ambassadeur d’Allemagne…acculé il se résout à négocier à Paris et des accords éponymes seront signés avec le régime qui promet des réformes mais qui reste en place avec Omar Bongo à sa tête.
L’armée, pilier du « système Bongo »
En 1998 mais surtout en 2005 l’armée est utilisée pour rétablir l’ordre à chaque fois que la protestation gronde. Le 21 mars 2006, alors que Pierre Mamboundou contestait toujours l’élection d’Omar Bongo à 79% des voix, l’assaut du siège de son parti, l’Union du Peuple Gabonais est donné le 24 Mars 2006, près de 2000 éléments de l’armée y prennent part. Pierre Mamboundou réussit à s’échapper, exfiltré par le conseiller militaire de l’ambassade des Etats unis et se réfugie à l’ambassade d’Afrique du Sud. L’armée se justifie par la voix de son ministre de la défense Ali Bongo qui affirme lors d’une conférence presse avec André Mba Obame ministre de l’intérieur, que Pierre Mamboundou détenait des armes et menaçait gravement la sécurité nationale ! Pierre Mamboundou passe près d’un mois à l’ambassade d’Afrique du Sud au Gabon et on lui propose un choix simple : quitter le pays ou aller dialoguer avec Omar Bongo. Mamboundou choisi le dialogue et décide de rencontrer Omar Bongo qui présente cela comme une grande preuve de sa légendaire « sagesse ».
Une junte dynastique !
En Juin 2009, Omar Bongo meurt, la présidente du Sénat le remplace, Ali Bongo son fils également ministre de la défense reste en place, il devra démissionner face à de nombreuses protestations. L’élection à lieu le 30 aout 2009, alors que de nombreux leaders politiques attendent devant le siège de la Commission Electorale Nationale Autonome et Permanente (CENAP) les résultats des élections, l’armée donne l’assaut et les disperse violement. Pierre Mamboundou qui avait pourtant accepter de dialoguer avec « Omar » est blessé par balle. Dans la foulée Ali Bongo est proclamé élu, la rue s’embrase surtout à Port Gentil, où l’armée réprime sans ménagement, combien y a-t-il de morts ? Nul ne le sait. On parle de fosses communes dans la banlieue de Port Gentil mais également de vols de la mort (Comme en Amérique latine) de nombreux malheureux contestataires sont jetés par hélicoptères militaires dans l’océan atlantique…
A noter que la nuit de l’annonce de sa « victoire », Ali Bongo s’est rendu « au palais rénovation » pour rassurer la Garde Républicaine et la remercier pour son indéfectible soutien, alors que normalement il n’était pas encore président et ne pouvait donc pas encore s’adresser à la troupe… Quelques jours après Ali Bongo est confirmé par la Cour Constitutionnelle. Pendant ce temps l’armée toujours aux ordres traque ce qui reste de « résistants » réels et supposés y compris dans ses propres rangs. « Le nouveau patron » reconnaissant décidera de choyer un peu plus « ses éléments ».
Aout 2016, l’armée derrière Ali Bongo
En Aout 2016, tous ceux qui avaient encore des doutes sur la nature réelle du régime gabonais n’ont plus aucune raison d’en avoir. Le pouvoir gabonais n’est ni plus ni moins qu’une junte militaire dirigé par un civil qui n’hésite pas à porter un uniforme militaire avec une casquette sur laquelle se trouvent 5 étoiles ! Ali Bongo en uniforme de général, l’opinion est à peine surprise. En Aout 2016 donc, l’armée gabonaise participe activement à la campagne de « son patron » Ali Bongo avec un rôle précis pour chaque corps (https://mondafrique.com/larmee-campagne-dali-bongo/), la base aérienne de la Garde Républicaine ( le groupement aérien présidentiel) s’occupe de la réception et de l’acheminement du matériel de campagne d’Ali Bongo, le génie militaire colle les affiches, les forces de défenses se retrouvent pour le meeting de lancement campagne du candidat-Président acheminés dans les camions de l’armée ! Et gare à ceux qui ne viennent pas !
Le 27 Aout 2016, le scrutin se tient et il faut attendre 4 jours pour avoir les résultats du Haut Ogooué, où Ali Bongo est déclaré élu à 95% des voix avec un taux de participation record de 99, 9%. Des gabonais mécontents descendent dans la rue, l’armée bien décidée à protéger le pouvoir de son « patron » les attends fermement.
La Sanglante répression de l’été 2016
Dès le commencement des émeutes, la répression est sanglante. L’assemblée nationale est incendiée bien avant l’arrivée des manifestants selon de nombreux témoins oculaires, ce pour légitimer le déferlement de violence de la part des hommes en armes. La méthode vient d’un certain Adolf Hitler qui avait en son temps mis feu au Reichstag pour obtenir « la loi habilitante ». Dans la nuit, la Garde Républicaine qui n’est nullement qualifié ni habilité à le faire au regard des lois du Gabon (pour peu qu’elles existent !) donne l’assaut du QG de Jean Ping, appuyé par des hélicoptères et selon certains témoignages notamment celui Chantal Myboto des voitures de l’escorte présidentielle étaient présentes parmi les véhicules des assaillants, Ali Bongo a-t-il assisté en personne à l’assaut du QG de son adversaire politique ? Une chose est sûre des voitures de son escorte étaient bien là. L’assaut est d’une rare violence et – fait nouveau – il est filmé. De nombreuses personnes sont abattues, plusieurs à ce jour portés disparues. Dans la capitale, de véritables « caravanes de la mort » font des victimes en se livrant à de véritables « safaris humains » quelques images existent. Quant aux morgues, elles sont très vite interdites d’accès par les forces de sécurité aux familles des victimes et aux médias qui ont quand même eu l’occasion de filmer des gabonais abattus par balles dont certains portaient encore des tee-shirts à l’effigie de Jean Ping. Malgré le tollé et l’indignation la machine répressive continue, froide, implacable, bien décidé à maintenir son « général » au pouvoir. Après une année et malgré les critiques et les réserves émises sur la sincérité du scrutin par l’Union Européenne, malgré les nombreuses preuves de personnes exécutés sommairement, les innombrables témoignages de tortures, malgré l’enquête de la CPI, Ali Bongo, faux président de la République mais vrai chef de la junte gabonaise, putschiste confirmé, véritable phénix sanglant a marqué son retour sur la scène internationale qui commençait à lui manquer sérieusement grâce à la préservation l’environnement. Ali Bongo sera chaleureusement accueilli au one planet summit qui s’ouvre à Paris ce 12 Décembre comme acteur majeur de la préservation de l’environnement aux côtés de « leaders internationaux et citoyens engagés pour la planète ». Tant qu’il dit préserver des arbres, on ne cherche pas à de savoir si la main d’Ali Bongo qu’on va serrer en arborant un large sourire devant les objectifs est souillée par le sang de plusieurs êtres humains qui n’avait commis d’autre crime que celui de vouloir défendre leur vote.

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