MOUKAGNI-IWANGOU
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Libreville
Libreville ce 19
février 2015
NOTE
A l’attention de Son Excellence
Monsieur Daniel ONA ONDO
Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Libreville
Objet : La convocation
du Parlement en session extraordinaire
pour la mise en accusation du Président de la
République
Réf. Votre Lettre n°00093/PMCG/SP du 05 février
2015
Pièce jointes :
1. Loi n°11/83 du 31 décembre 1983 déterminant la composition
et le fonctionnement de la haute cour de justice ainsi que la
procédure applicable devant elle.
2. Loi organique n°49/2010 du 25 septembre 2011 déterminant la
composition
et le fonctionnement de la haute cour de justice ainsi que la
procédure applicable devant elle.
3. Lettre n°10/CC/PG/Cab-PG du 26 décembre 2014 de Madame MBANZA
BAGNY Marie Procureur Générale près la Cour de Cassation
4. Lettre de Maître OKANDJI, Greffier en chef de la Cour de
Cassation
Excellence,
Monsieur le
Premier Ministre,
J’ai l’honneur
d’accuser réception de votre lettre citée en référence et je vous en remercie.
Sur le mérite
des dispositions pertinentes de la constitution,
qui institue la haute cour de justice, et de la loi 11/83 qui détermine à votre
sens, sa composition, son fonctionnement et la
procédure applicable devant elle, vous n’avez trouvé aucune disposition qui, en
lieu et place du Ministère public, habiliterait un plaideur à saisir votre
autorité, à l’effet d’obtenir la convocation du Parlement en vue de statuer sur
la mise en accusation du Président de la République.
Tirant conséquence de
ce qui précède à mon égard, vous avez décidé de ne pas accéder à ma requête
pour défaut de qualité.
En restituant ici
l’esprit de votre lettre, je ne voudrais pas d’entrée, manquer d’élégance à
l’endroit de votre Excellence, pour le privilège de ce dialogue citoyen que
vous m’avez accordé.
En dépit de votre
conclusion, qui clôt le débat, ma foi profonde dans les bonnes pratiques
démocratiques, qui s’affinent à l’épreuve quotidienne du dialogue citoyen
ouvert au sein d’une République qui doit savoir se parler à tous les niveaux, pour sédimenter entre ses membres, ce
sentiment d’appartenir à une communauté de destin, me conduit ce jour à relancer
cet échange citoyen.
Au risque de vous
déplaire, je me permets de relancer cet échange citoyen autour des usages
républicains, auxquels notre pays doit s’ouvrir, pour enrichir sa gouvernance.
En ouvrant votre
gouvernance au monde, il ne vous aurait pas manqué d’apprendre le meilleur de
la pratique française, restituée par un exemple que je me permets de vous suggérer.
Prenant ses fonctions
le 4 mars 1986, jour de son investiture, Robert Badinter avait prononcé ces
paroles mémorables, je cite : « Monsieur François Mitterrand, mon
ami, merci de me nommer Président du Conseil constitutionnel, mais, sachez que
dès cet instant, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude », fin de
citation.
Monsieur le Premier
Ministre, le devoir d’ingratitude m’oblige. Il m’oblige à vous dire,
respectueusement, que je ne partage pas votre lecture de la constitution, et
surtout, que je ne partage pas votre approche de la loi.
A ce niveau, et
avant toutes choses, je voudrais vous partager un constat, qui conforte ma
détermination à mesure que je l’éprouve.
Sur le sentier peu lumineux de ce contentieux, l’expérience que je
relève des acteurs institutionnels des procédures ouvertes ou pendantes sur
cette question, me donne à constater que dans leur ensemble, ces différentes
autorités brillent par leur volonté de lire la loi par ses blocages.
La Cour Constitutionnelle, saisie d’une contestation de
nationalité soulevée devant elle contre le citoyen Ali BONGO ONDIMBA, a rejeté
cet argument pour insuffisance de preuve, faussant l’issue du procès, mais laissant
entière cette contestation, alors que l’administration d’une bonne justice lui
commandait de surseoir à statuer sur le contentieux électoral qui relève de ses
compétences, de renvoyer les parties devant le juge judiciaire qui a seul
mission et charge de trancher le contentieux de la nationalité, d’attendre la
décision du juge naturel, et en toute logique, de tirer simplement les
conséquences de droit qui s’imposaient.
Le Tribunal de première instance, saisi d’une inscription de
faux, s’est déclaré d’office incompétent pour juger le Chef de l’Etat, du fait
de son statut pénal, laissant entière cette contestation, alors que dans
l’intérêt de la loi, le droit de la procédure commandait au Ministère public de
provoquer le procès pénal, et à cette occasion, d’y évoquer cet incident de
procédure, d’y requérir les arguments des parties au nom du respect du principe
du contradictoire, et pour rendre justice, d’obtenir du Tribunal le renvoi de la
cause et des parties devant la haute cour de justice, le juge naturel du chef
de l’Etat.
En m’opposant la constitution et la loi n°11/83 pour me dénier toute
qualité à vous saisir, sans communiquer d’avantage sur les dispositions qui
fondent votre conviction à croire le Ministère public plus légitime que moi à
vous approcher sur cette question, vous participez de cette logique pour le
moins critiquable.
Excellence,
Il ne doit échapper à personne, que du fait de son caractère
polysémique que vous connaissez mieux que quiconque, la justice qui est un
service public, est, encore plus et surtout, un idéal, une vertu et une attente
presque existentielle.
C’est pourquoi, le respect que j’ai pour les institutions,
et particulièrement pour l’institution faîtière de l’administration de la
république gabonaise que vous incarnez, ne peut suffire pour m’imposer le
silence, lorsque votre excellence fonde sa religion sur la loi n°11/83 du 31
décembre 1983 pour ne pas honorer le Pacte républicain.
Monsieur le
Premier Ministre, le devoir d’ingratitude me commande de vous dire que vous
vous êtes trompé.
Dépositaire des Publications
officielles et des Archives nationales, vous disposez en votre personne de tous
les leviers institutionnels pour savoir que la loi n°11/83 du 31 décembre 1983 est
abrogée depuis le 25
septembre 2011.
Sauf l’intérêt scientifique, pour mesurer les évolutions
sociétales opérées, le recours à cette codification comme instrument pour
traiter de ma requête est une porte que vous avez fermée sur la vérité, option
inacceptable au plan moral, inadmissible au plan éthique, irrecevable au plan
institutionnel.
A l’aune de deux dispositions de cette loi, emblématiques d’une
autre époque, vous comprendrez que votre réponse ne puisse, ni me suffire, ni m’obliger.
La première disposition est l’article 1er, qui édicte,
je cite : « la Haute cour de justice se compose d’un président et de
six juges titulaires. Elle comprend en outre quatre juges suppléants. Les juges
titulaires et les juges suppléants sont élus à parts égales en leur sein par le
comité central du Parti Démocratique Gabonais et l’assemblée nationale
(…) ».
La deuxième disposition est l’article 2, dont on doit retenir,
je cite : « le président de la Haute cour de justice est nommé
par décret du Président de la République. Il est choisi soit parmi les députés,
soit parmi les membres du comité central, soit parmi les magistrats de l’ordre
judiciaire, soit indépendamment de toute appartenance en raison de sa
compétence et de son dévouement aux intérêts supérieurs de l’Etat. Le président
de la Haute cour de justice est assisté d’un vice-président nommé dans les
mêmes formes et conditions. »
Sans avoir besoin d’aller plus avant, la
loi n°11/83 du 31 décembre 1983 qui a votre préférence, ne peut clore le débat. Bien au
contraire, elle mobilise tous les démocrates sincères pour l’ouvrir, sous une
poussée militante dont plusieurs acteurs seront même recrutés au sein du Parti
Démocratique gabonais, qui n’a pas le droit de rabaisser l’image de notre pays,
à qui nous devons le meilleur.
Au risque de vous être désagréable, le meilleur pour notre pays
est dans l’abandon absolu et définitif du monolithisme politique, visiblement
institué en système de gouvernement dans la réalité quotidienne des faits.
Monsieur le Premier Ministre,
En m’opposant la loi 11/83, certainement pour le bien de
Monsieur Ali BONGO ONDIMBA, je vous suggère humblement la lecture utile de la
49/2010, pour le bien du pays.
Je vous suggère la lecture de la loi organique n°49/2010 du 25
septembre 2011 en son article 51, qui dispose, je cite, que « la présente
loi, qui abroge toutes les dispositions antérieures, notamment la loi n°11/83
du 31 décembre 1983 déterminant la composition et le fonctionnement de la haute
cour de justice ainsi que la procédure applicable devant elle, sera
enregistrée, publiée selon la procédure d’urgence et exécutée comme loi de
l’Etat ».
Pour le seul bien du pays, je vous suggère très
respectueusement, une lecture plus attentive de la constitution de la
République Gabonaise.
En son article
78 alinéa 6 in fine, vous constaterez
que la loi fondamentale a institué une saisine citoyenne, qui légitime tout
plaideur à questionner ses gouvernants devant la Haute cour de justice.
Par le fait de
permettre à « toute personne intéressée » de saisir la Haute
Cour de justice, il tombe sous le sens que la constitution habilite le citoyen à
s’inviter dans la sphère publique, comme interlocuteur de toutes les
institutions républicaines ayant pouvoir de donner suite.
Excellence,
En me félicitant du choix pertinent opéré par le constituant sur
cette question, qui a élevé nos pratiques républicaines sur les standards
internationaux, je ne peux admettre que vous puissiez trouver dans le silence
supposé du Ministère public, une difficulté dirimante à votre saisine, et
partant, un empêchement de fait à la mise en accusation le Chef de l’Etat.
Je ne puis l’accepter, d’abord, parce que je suis un citoyen
diligent, qui a pris la précaution d’actionner la partie judiciaire sur toutes
ces questions.
Outre les actes de saisine que j’ai déposés au Greffe et qui
vous ont été communiqués par mes soins, je vous fais tenir en sus, copies des
courriers de Madame MBANZA BAGNY Marie, Procureur Général près la Cour de
Cassation et de Maître OKANDJI, Greffier en chef de ladite Cour, qui assurent
en leurs grades et qualités respectives, la mission de représenter le Ministère
public et de tenir le greffe devant la Haute Cour de Justice.
Répondant à mon interrogation sur la transmission de l’entier
dossier à toutes les autorités ayant pouvoir d’y donner suite, Madame MBANZA
BAGNY Marie et Maître OKANDJI ont clairement indiqué, s’agissant des missions
dévolues respectivement au Greffe et au Ministère public, qu’il ne leur
appartenait pas, en mes lieu et place, d’accomplir une quelconque diligence
administrative auprès des institutions compétentes, et qu’à ce titre, leurs
offices prendraient date à compter de la mise en accusation du Parlement.
Au regard des termes non équivoques de ces courriers, qui font
ressortir le fait que l’office du Ministère public et du Greffe n’est impliqué
dans la procédure, qu’à compter de la mise en accusation prononcée par le Parlement,
il se déduit que les diligences institutionnelles qui participent à la convocation
dudit Parlement n’entrent pas dans leurs prérogatives.
Monsieur le Premier Ministre,
Comme les contrariétés de parcours n’arrêtent pas le pèlerin,
les contrariétés administratives n’arrêteront pas le citoyen.
De ce qui précède, il suit de la lecture des dispositions
pertinentes de l’article 78 que vous êtes, en la circonstance, celui par qui
l’histoire avancera.
Et comme l’histoire avance toujours, j’incline à penser qu’il
est bon qu’elle avance avec les hommes et non contre les hommes.
A cette occurrence-là, la justice qui doit toujours se faire,
gagne à être approchée par les solutions qu’elle offre.
La première solution, dont nous devons savoir gré au constituant,
et qui fonde mon initiative, est édictée par la constitution, qui institue à
l’article 78 alinéa 6 in fine la
possibilité au Gabon d’une saisine citoyenne au profit de « toute personne
intéressée ».
La deuxième solution qui est édictée à l’article 3 de la loi
49/2010, recèle un double mérite.
En disposant ainsi qu’il suit, je cite l’article 3, que « les
juges magistrats sont nommés pour trois ans par le Conseil supérieur de la
magistrature parmi les magistrats hors hiérarchie de l’ordre judiciaire exerçant
au siège », la loi 49/2010 nous enseigne un tempérament utile à la bonne compréhension
du caractère non permanent de la juridiction d’exception qu’est la Haute Cour
de justice, caractère non permanent perçu également comme une difficulté
dirimante à la convocation de la Haute cour de justice.
Écrite sous l’éclairage du principe de précaution, l’article 3
de la loi 49/2010 montre que le législateur n’entend pas placer des magistrats
au service quotidien de la haute cour, mais en a parfaitement garanti la
disponibilité chaque fois que le devoir appelle.
La troisième solution est édictée à l’article 4 de la loi
49/2010. Comme pour les magistrats, cette disposition indique qu’au sein de
chaque chambre, les parlementaires devant composer la Haute cour de justice
sont élus pour un mandat de 3 ans, et ne sont nullement désignés à l’occasion.
Monsieur le Premier Ministre,
A s’y méprendre, votre choix obstiné pour la loi 11/83 est un
choix pour la sécurité contre la République, qui se trouve elle, consignée dans
la loi 49/2010, et qui interroge votre gouvernance.
En repartant dans l’histoire, il me souvient que du Maréchal
Pétain le Général De Gaulle avait eu cette réflexion, je cite :
« entant que chef d’état il lui a manqué deux choses, qu’il soit chef, et
qu’il y ait un Etat ».
Me gardant d’ajouter une attaque de plus contre le chef d’état,
votre choix pour la loi 11/83 m’interroge simplement sur la question de savoir s’il
y a un Etat au Gabon.
Parce que s’il y avait un Etat, au sens de l’état de droit, le
débat sur l’acte de naissance de Monsieur Ali BONGO ONDIMBA, qui questionne
directement la fiabilité de l’état civil au Gabon, aurait tout logiquement
suscité, prima facie, l’ouverture
d’une enquête commise par l’autorité de tutelle, c'est-à-dire le Ministère de
l’intérieur, dont les services sont directement mis en cause.
S’il y avait un état, au sens de l’état de droit, le débat sur
l’acte de naissance de Monsieur Ali ONGO ONDIMBA aurait, de jure, suscité la saisine d’office du Ministère public et, sans concession, abouti à l’ouverture d’une
enquête sur cette délinquance en col blanc.
Excellence,
A ma petite place, l’observation des choses me conduit à la
conviction, que partout où les gouvernants n’ont pas travaillé à l’instauration
l’état de droit, les Peuples sont toujours parvenus à l’installer. Que dis-je,
à l’imposer.
C’est pourquoi, nonobstant votre refus, je m’obstine à vous
faire l’offre, de contribuer à installer l’état de droit chez nous, parce que
nous le méritons.
A cette occurrence, et au nom de la transparence, qui est le
premier palier de l’état de droit, je sollicite dès ce jour, la production par
le journal officiel, des décisions de nomination des magistrats sous mandat.
Sous le sceau des mêmes exigences, je sollicite, sans délai, la
production des délibérations portant élection dans chacune des chambres, des
parlementaires investis du mandat de juge à la Haute cour de justice.
Face à des faits, qui
mettent en cause le premier citoyen du pays, et qui questionnent l’existence de
l’état de droit chez nous, je voudrais que la preuve soit faite devant la
Nation, que tous ces atermoiements ne cachent pas l’incongruité du déficit du
droit, gêné dans ses entournures, d’avoir à inviter l’accusé à désigner ses
juges, et d’avoir à alerter la majorité parlementaire à faire bloc contre le
Pacte républicain.
Monsieur le Premier
Ministre,
Si tel est
malheureusement le cas, le GAON, notre pays doit sortir de cette impasse par le
haut.
Pour en sortir, non
pas pour taire la justice, mais plutôt pour qu’elle se fasse de manière
décente, le débat citoyen que j’appelle de tous mes vœux doit se faire dans le
respect de nos différences.
Pour ma part, je me
réserve de formuler des pistes de solution, lorsque les conditions de l’échange
franc et décomplexé seront réunies
Monsieur le Premier
Ministre,
L’histoire du dialogue
des Pouvoirs est malheureusement parfois celui de leurs interférences.
En me déniant toute
qualité à agir, vous rentrez sans le savoir, dans la mission du juge dont c’est
la prérogative constitutionnelle.
Pour ne pas avoir à ajouter une difficulté aux difficultés déjà
prégnantes, j’ai le devoir de vous signaler que nous sommes simplement en face
d’une action en justice, que le code de procédure civile, c'est-à-dire le droit
commun de toutes les procédures, définit comme « le
droit, pour l’auteur d’une prétention d’être entendu sur le fond de celle-ci,
afin que le juge la dise bien ou mal fondée.
Pour l’adversaire,
l’action est le droit de discuter le bien fondé de cette prétention. »
Oui. L’office du juge
est de juger, et la loi 49/2010 que vous n’aimez pas beaucoup, mais qui
enseigne tant, indique en son article 48, je cite, que « Tout incident
élevé ou soulevé au cours des débats de la Haute cour de justice peut, sur
décision du Président, être joint au fond », autrement dit, tranché par la
Cour elle-même.
Tenu pour votre part à
une obligation constitutionnelle, que je me suis permis de vous rappeler en
tant que « toute personne intéressée », pour reprendre la formule du
constituant, vous n’avez besoin d’aucune saisine pour accomplir votre devoir.
Dans
l’attente de votre Haute diligence, que je sollicite de manière itérative pour
le bien du pays.
Je
vous prie d’agréer, Excellence Monsieur
le Premier Ministre, l’expression de mon profond respect.
MOUKAGNI-IWANGOU