"Du Camp Thiaroye au pouvoir françafricain du Gabon"
L’éditorial du Dr Bellarmin MOUTSINGA
En image, "La Femme qui pleure" de Pablo Picasso |
L’hypocrisie de la diplomatie française à propos des présidentielles gabonaises d’Août 2016 dernier est déroutante. Pourquoi évoquer coûte que coûte un départ vers des élections législatives prochaines, dont Ayrault attend désespérément la date alors que n’est toujours pas soldé le terrible contentieux à propos des présidentielles passées ? La planète entière sait qu’Ali Bongo est le perdant de cette élection. Lui-même le sait, les Gabonais le savent, les Français aussi. Pourquoi donc le soutenir autant, d’un langage diplomatique bien clair à ceux qui savent entendre ? Quel droit a-t-il désormais, lui Ali Bongo, d’appeler à une autre élection ou à un dialogue national ? Pourquoi ne pas simplement reconnaitre l’élection de Jean Ping ? Quel est le problème de fond, dont on ne veut pas nous parler clairement ? Il faut qu’on nous explique cela, à nous autres Gabonais surpris d’une telle attitude. Il le faut, impérativement.
Des gens sont morts, on ne sait pas encore pourquoi. Le quartier général de l’opposition a été bombardé à l’arme lourde, on ne sait pourquoi, des gens ont été lâchement massacrés au milieu de la nuit, par la volonté du perdant, Ali Bongo, qui ne voulait pas accepter que les Gabonais, par leur vote, ne veulent plus de lui, n’ont jamais voulu de lui. De nombreux disparus n’ont pas encore été retrouvés. Des citoyens meurtris à tous points de vue, emprisonnés, torturés, injustement salis n’ont pas encore retrouvé leur bon droit. Pourquoi donc diable ! la France appelle-t-elle sans sourciller à aller aux élections législatives ? Ces législatives vont changer quoi à la vie des Gabonais livrés à eux-mêmes par ce même régime, depuis que, par la volonté de cette même France, les Bongo tyrannisent les Gabonais ? La paix ne sera pas retrouvée pour autant. C’est un grossier mensonge que de laisser croire que les Gabonais sont près de repartir à des élections qui leur coûtent ainsi la vie, avec le même système cynique et meurtrier qui les a tant assassinés, tant trompés, tant mentis, avec la bénédiction des différents pouvoirs français. Les mêmes problèmes de sécurité demeurent. Et la France le sait.
Assassinats en bande: une pratique quotidienne du régime BOA |
Il faut d’abord vider, impérativement, ce contentieux pathologique qui crispe la vie politique au Gabon et bloque par conséquent le pays. Pourquoi cette curieuse fuite en avant qui sonne comme un désir caché de légitimer absolument, de soutenir désespérément la présence d’Ali Bongo au pouvoir ? Personne ne comprendrait ici en France, qu’un camp ait gagné les élections présidentielles et que l’équipe sortante ne quitte pas immédiatement le pouvoir qu’il a perdu pour tout de suite évoquer l’élection future. Il serait immédiatement vilipendé, intégralement honni, fondamentalement rejeté par la communauté des Nations.
Au nom de quelle légitimité ? A quel peuple au monde infligerait-on cela ? Pourquoi les Gabonais devraient-ils l’accepter ? Qui agréerait une telle effronterie dans un pays démocratique ? Il faut donc que Ayrault abatte publiquement toutes ses cartes aux yeux du monde pour que l’on comprenne définitivement où le gouvernement français veut en venir, qu'est-ce qu'il veut faire de ces Etats honteux, lui qui décide visiblement de nos vies en Afrique, lui qui décide de qui doit gouverner le Gabon.
Ali Bongo aime se pavaner en tenu militaire au milieu de ses prétoriens, sans doute pour montrer qu'il se maintien au pouvoir par la force des armes |
Le discours officiel promet que la Françafrique, c’est fini. Les Gabonais en sont inéluctablement fondés à juger du contraire. Comment le gouvernement de la France manque-t-il à ce point de clarté sur l’alternance au Gabon ? Pourquoi autant de tergiversations à reconnaitre le pouvoir de Jean Ping, sa victoire, et d’aider à son investiture ? Le Parti socialiste lui-même semble très embarrassé par cette attitude puisque le feu des questions au gouvernement, tant au Sénat avec Jean Marie Bockel qu’à l’Assemblée nationale, est fourni. La même interrogation revient sur l’attitude du gouvernement de la France face à cette élection gabonaise au résultat net.
C’est comme si on voulait absolument que Ping partage le pouvoir avec Ali Bongo. Mais pourquoi ? Au nom de quel principe ? La très grande majorité des Gabonais n’en veut pas. Huit provinces sur neuf ont massivement rejeté Ali Bongo. Quelle légitimité aurait une alliance Ping-Bongo ? Pourquoi obliger le vainqueur d’une élection à dialoguer avec le vaincu ? On marche vraiment sur la tête! C’est de la science politique ou de la politique fiction ? C’est du Gnembouet de Mbenaltembé ou du Marwall ch’ti ? Dieu tout-puissant !
La diplomatie française se claquemure désormais derrière le rapport UE du 7 décembre 2016 prochain, qui fera toute la lumière sur les fraudes massives sur la base desquelles Ali Bongo se maintient encore au pouvoir. Mais franchement, la France a-t-elle besoin de ce rapport pour fonder sa décision ? Lorsqu’elle est allée en guerre contre Laurent Gbagbo, à tort d’ailleurs, faut-il le rappeler, qu’a-t-elle eu besoin d’un prétexte ? Le rapport préliminaire de l’UE depuis longtemps disponible et fourni, aurait largement suffi à promouvoir la démocratie et l’alternance au Gabon autant que ses propres informations sur cette élection si elle souhaitait vraiment, la France, promouvoir la démocratie au Gabon.
La France refuse visiblement de se grandir et de se placer du bon côté de l’Histoire. Sa politique étrangère africaine a beaucoup de mal a évolué. Les cas du Tchad, du Congo Brazzaville et maintenant du Gabon montrent à la face du monde que des intérêts colossaux, occultes et inavouables, qui rentrent dans la construction de la richesse française, sont en jeu. L'expression de la démocratie en Afrique les met donc en danger. Des réseaux influents de toutes sortes, des puits de pétrole généreux et des sous-sols aux richesses gigantesques remplissent de promesses alléchantes, les caisses gloutonnes des trésors hexagonaux.
Toute l’histoire des rapports entre la France et la francophonie africaine est symptomatique de cette vérité. L’Afrique, qui a contribué a sauvé la France libre avec de Gaulle, n’a jamais reçu les dividendes de son investissement. Du Camp Thiaroye aux pseudo-démocraties d’Afrique francophone, des Hosties noires de Senghor aux dictatures imposées au Continent, de la littérature à la philosophie, des voix s’étonnent, s'étranglent pour la bonne cause, se lèvent encore partout et en tout liberté de questionner, pour dénoncer cette doctrine française immuable qui s’entête à tenir à bout de bras des tyrans africains soumis à toutes les volontés prédatrices d’un Hexagone qui ne serait pas la France, telle qu’on la connait, sans l’Afrique. Pour mieux piller les anciennes colonies.
Il n’est cependant plus possible de continuer comme cela. C’est ce que disent l'ensemble des scrutins toujours étouffés en Afrique. C'est ce qu'expriment désormais les nombreux boat-people africains qui s'échouent quotidiennement aux portes de l'Europe. Désespérés parce que vous leur avez tout pris là-bas. Ils viennent désormais ici. En masse et en grand nombre. Ces embarcations accusent d'un doigt lucide et tranchant la conscience de cette Europe qui les humilie, qui les tue. Les consciences blanches et immaculées de l’Europe ne peuvent plus conserver la quiétude hypocrite qui a toujours été la leur face aux difficultés que leur gouvernement suscite en Afrique. Dans leurs pays, les violences politiques les tuent. C’est l’exil maintenant qui ouvre ses bras incertains à ceux qui peuvent encore obtenir un visa pour des horizons plus cléments. Jusques à quand ?
Victor Hugo a bien dit un jour que ce que vous croyez sans défense est défendu, même par l’ombre. Et cette ombre encore peu visible est en train de se constituer patiemment, dans cette Afrique épuisée, occupée par les multinationales françaises. Le désir d'une révolte lucide, urgente, nécessaire, gronde et regarde en face votre politique à la lisière des pires mafias. Elle refuse désormais ces relations de domination infecte que vous lui imposez depuis des décennies. Car l’Histoire nous enseigne que les peuples momentanément faibles finissent toujours par se construire au dur contact de l’épreuve et du labeur, en vue de leur propre autodétermination. C’est le prix d’une liberté qui finira un jour par venir. C’est cela seul que les Gabonais, au-delà les peuples noirs d’Afrique francophone, ont ouvertement exprimé en élisant massivement Jean Ping en Aout dernier. En quoi nous croyons fermement que le temps du Gabon viendra. Inéluctablement.
Dr Bellarmin MOUTSINGA
Porte-parole de Jean PING
Porte-parole de Jean PING