Perspectives

jeudi 20 juillet 2017

Tribune – Report des legislatives : pourquoi la decision de la Cour constitutionnelle est illegale Par Mays MOUISSI, analyste économique

Tribune – Report des legislatives :
pourquoi la decision de la Cour
constitutionnelle est illegale
Par Mays MOUISSI, analyste économique
Le 11 juillet, la Cour constitutionnelle du Gabon a rendu une décision par laquelle elle autorise un nouveau report des élections législatives au plus tard au mois d’avril 2018.
Pour justifier sa décision, l’institution présidée par Marie-Madeleine Mborantsuo évoque un cas de force majeure né de l’incapacité du gouvernement de concilier le temps nécessaire à la mise en place des décisions du dialogue politique initié par Ali Bongo et les délais initiaux fixés par la Cour pour organiser le scrutin législatif.
Cependant, la décision de la Cour constitutionnelle est à la fois illégale et contraire à la constitution.

Le gouvernement gabonais souhaitait un nouveau report des élections législatives et la Cour constitutionnelle, comme souvent, a rendu une décision dans ce sens en s’exonérant du respect des règles juridiques les plus élémentaires.

En effet, dans l’article premier de la décision n°020/CC du 11 juillet 2017 on peut lire : « L’impossibilité de concilier le temps nécessaire dont les autorités compétentes doivent disposer pour faire aboutir le processus des réformes électorales arrêtées dans le protocole
d’accord signé entre les parties prenantes au dialogue politique avec l’observance du délai fixé par la Cour constitutionnelle pour l’organisation des élections des députés à l’assemblée nationale est constitutive d’un cas de force majeure autorisant l’organisation desdites élections à une période ultérieure »
Cependant, le cas de force majeure évoqué par la Cour constitutionnelle pour justifier sa décision de report des élections législatives n’en est pas un puisque qu’il ne correspond en
rien à la définition juridique communément admise de la « Force majeure ».
Illégalité : la mise en œuvre des actes du dialogue ne peut
constituer un cas de force majeure
Le lexique juridique droit.fr définit le cas de force majeure comme un événement imprévu, insurmontable et indépendant de la volonté d’une personne. Ainsi, en droit, un cas de force majeure ne peut être évoqué que pour des événements qui se caractérisent par les 3 éléments cumulatifs suivants : leur extériorité, leur imprévisibilité et leur irrésistibilité.
Or la mise en œuvre des actes dudialogue n’ont ni un caractère extérieur, imprévisible et irrésistible susceptible dejustifier un report des élections législatives.
Sur l’extériorité
Le caractère extérieur d’un événement s’entend d’une cause étrangère non imputable, en
l’espèce, aux autorités en charge d’organiser les élections législatives. Or la mise en œuvre
des actes d’un dialogue politique convoqué, organisé et supervisé par le gouvernement qui
est aussi l’autorité qui convoque par décret les électeurs aux urnes n’a aucun caractère
extérieur.
En outre, le caractère extérieur est d’autant plus fragilisé que l’événement est directement
imputable au gouvernement qui en est la cause (absence de cause étrangère).
L’extériorité n’est donc pas fondée en droit.
Sur l’imprévisibilité
L’imprévisibilité d’un événement s’entend du caractère inattendu d’une circonstance dont la
survenance contrarie l’exécution d’une obligation (cf. lexique juridique droit.fr).
Pour la Cour constitutionnelle gabonaise, le fait que les autorités manquaient de temps pour
mettre en œuvre les actes du dialogue est suffisant pour justifier du caractère imprévisible
de l’événement. Les juges constitutionnels se sont fourvoyés. En effet, le 28 mars dernier, 2
mois avant la fin du dialogue politique, le premier ministre Gabonais Emmanuel Issozet
Ngondet déclarait sur les antennes de RFI « (les décisions du dialogue) toucheront
probablement aux textes encadrant les processus électoraux et comme on ne peut pas
changer la loi électorale au cours d’une année électorale, fort probablement les politiques
s’entendront pour un nouveau report ».
Les déclarations du chef du gouvernement gabonais confirment que les autorités avaient
anticipé que le dialogue qu’elles organisaient, engendrerait des problèmes de calendrier
quant à la mise en œuvre des décisions prises dans ce cadre. Puisque le premier ministre
l’avait prévu, comment le caractère imprévisible peut-il être évoqué ?
Sur l’irrésistibilité
L’irrésistibilité d’un événement s’entend du caractère d’une circonstance invincible, même au
prix d’une diligence soutenue et d’une volonté manifeste de surmonter l’obstacle (cf. lexique
juridique droit.fr).
Pour que le caractère irrésistible d’un événement soit fondé en droit, « Il faut que la
personne concernée ait été dans l’impossibilité d’agir autrement qu’elle l’a fait. Il faut que
l’événement la laisse impuissante ».*
Sur l’organisation des élections législatives, le gouvernement gabonais pouvait-il agir
autrement ? Assurément oui. Plusieurs solutions s’offraient à lui, la plus simple consistant à
organiser les élections avec le corpus légal actuellement en vigueur et confier à la prochaine législature le soin de mettre en œuvre les résolutions du dialogue. D’autres options
pouvaient également être envisagées. En tout cas, le gouvernement n’était pas face à un événement caractérisé par l’irrésistibilité.

Puisqu’il est désormais démontré que les arguments soulevés par la Cour constitutionnelle pour justifier de l’existence d’un cas de force majeure ne possèdent aucun caractère extérieur, imprévisible et irrésistible, on peut conclure qu’il n’y a pas de cas de force majeure valable dans la décision de la Cour pour justifier du report du scrutin législatif. La décision de report des juges constitutionnels gabonais est donc illégale.
Inconstitutionnalité : le dialogue n’a pas de valeur constitutionnelle face à une élection prévue par la Constitution
L’article 35 de la Constitution du Gabon dispose que les députés « sont élus pour une durée de cinq ans au suffrage universel direct […] Le mandat des députés débute le jour de l’élection des membres du bureau de l’Assemblée nationale et prend fin à l’expiration de la cinquième année suivant cette élection. »
La loi fondamentale donne une valeur constitutionnelle à l’organisation de l’élection des députés à une fréquence régulière (tous les 5 ans). Le dialogue politique organisé à Agondjé, non prévu dans les textes constitutionnels, était, de ce point de vue, une instance
informelle.
Or, la fréquence de consultation des électeurs, strictement encadrée par les textes fondamentaux, pour renouveler la chambre des députés ne doit pas être perturbée par des faits mineurs comme l’organisation d’un dialogue politique.

Par sa décision, la Cour a mis sur le même pied d’égalité un dialogue qui n’a pas de valeur constitutionnelle et une élection dont l’organisation à échéance régulière est prévu par la Constitution de la République. C’est une faute qui viendra entacher un peu plus une institution désormais habituée aux critiques tant sur ses décisions que sur les personnalités qui la composent.
Mays Mouissi
* Cf. : F. Chabas – Rep. civ. Dalloz – septembre 202 n° 33 et s. p. 7 ; Ph. Antonmattei,
« contribution à l’étude de la force majeure »

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