Perspectives

samedi 28 septembre 2013

La prédation néocoloniale du Gabon par la françafrique

Du système économique néocolonial à une oligarchie corrompue, omniprésente et prédatrice.

Au lendemain des indépendances, il ne restait aux africains qu’une façade d’ambitions et d’espoirs à réaliser une fois le colonisateur parti. Pour certains l’indépendance symbolisait la fin de l’humiliation, de l’exploitation, du contrôle de l’étranger sur les décisions importantes, la fin de la misère et de la dégradation qui avaient accompagné la domination étrangère. En tout cas pour la majorité, l’indépendance signifiait la fin des contraintes, le retour au mode de vie traditionnel ou, au mieux, une vague tentative d’harmoniser la modernisation souhaitable et les attitudes et talents hérités d’une société indigène privée depuis longtemps de la liberté de choisir sa propre voie. Mais pour les minorités qui ont reçu le pouvoir, le changement avait un tout autre sens. Il offrait l’occasion de s’enfermer dans un mimétisme sans nom en faisant preuve d’un manque flagrant de créativité. L’objectif étant de hâter l’occidentalisation, l’indépendance (ou autonomie) offrait des vastes champs d’imitation des manières ou des méthodes de gouvernement héritées des colonisateurs. Plus souvent conseillés par les maîtres intéressés que par des fonctionnaires soucieux de l’avenir du pays, les ténors du pouvoir ont appliqué, tout au long de leur règne, des remèdes choisis dans l’expérience des pays industriels en pensant que ceux-ci donneront des résultats comparables dans des contextes culturels, sociaux et raciaux considérablement différents. Les arguments de ce type indiquent clairement un souci de statu quo qui confine à l’obsession et dénotent une philosophie défensive face à la transformation de la société africaine. Ils révèlent surtout une certaine incapacité à adopter une attitude dynamique, à prendre des risques ou à affronter les changements. Ces minorités au pouvoir n’ont été que trop disposées à croire aux déclarations internationales d’après guerre. Ils ont pris au mot les déclarations des colonisateurs qui promettaient des compensations à l’exploitation passée. L’idéalisme, la naïveté et l’opportunisme ont probablement contribués à les convaincre que l’heure du monde-providence avait sonné. Comme on aurait pu le croire, la modernisation et l’occidentalisation devaient être accélérées par une assistance fournie par l’ancienne puissance impériale.

 Finalement, certaines actions charitables de la France envers le Gabon, n’ont contribué qu’à prolonger des illusions. On peut, en effet, douter en termes pratiques la valeur de l’aide apportée au Gabon par la France. Si ce n’est que pour servir les besoins de puissance, d’influence et de prospérité du pouvoir local et les appétits financiers des partis politiques français.
Samir Gharbi de Jeune Afrique l’Intelligent estime que «Plus de 70 % des crédits qualifiés d'aide au développement sont servis de façon bilatérale. Cela signifie que l'essentiel de l'argent retourne aux pays donateurs pour payer les salaires des experts et autres consultants et les marchandises achetées à ces mêmes pays. Très peu de « cash » va en fait aux pays bénéficiaires auxquels revient, une fois le crédit déboursé, la gestion du projet, c'est-à-dire la prise en charge des dépenses courantes et... de la maintenance (achat de pièces détachées, experts en réparation...).
Un projet d'aide au développement génère donc - en retour vers les pays donateurs - des transferts financiers plus importants que le montant de l'aide elle-même. Il en va de même - sauf que la procédure est indirecte - pour les projets financés par les institutions multilatérales. Pour que l'aide serve vraiment l'intérêt des pays pauvres, il faudrait que l'argent qui rentre par la porte ne sorte pas par la fenêtre, mais soit recyclé sur place ».

D’après François Xavier Verschave[1], moins de 5% de l’aide public au développement servent à lutter contre la pauvreté. Le reste, c’est à dire 95%, par l’entremise des projets improductifs, ruineux, inadaptés, inachevés ou délabrés faute de maintenance et les éléphants sont partagés entre le dictateur et les parents français partenaires de l’escroquerie.  Cette boutade de Verschave résume à elle seule le mécanisme de dévoiement de l’aide publique au développement :
L’aide publique au développement consiste à prendre l’argent des pauvres des pays riches pour le donner aux riches des pays pauvres… parce que les riches des pays pauvres en rendent une bonne partie aux riches des pays riches qui organisent l’opération.

«La taille de la bouée doit être proportionnée au corps qu’il s’agit de maintenir à flot». Cette réflexion de Tibor Mende, résume, à suffisance et à n’en point douter, toute la mécanique de l’aide ou de la coopération au développement de la France avec ses anciennes colonies.

En effet, ce qui est donné, et cela peut se calculer, a peu de chance de représenter plus que ce qui est nécessaire pour améliorer légèrement la capacité du Gabon à assurer le service de la dette, (qui est contractée pour des projets improductifs et des détournements divers) ou, à payer les bénéfices des investissements privés.

Une parenthèse nécessaire s’impose ici, pour présenter le mécanisme de dévoiement de l’aide. F-X Verschave l’a si bien synthétisé :
La France par un intermédiaire propose au dictateur un avion Mystère 20, ou lui construit une usine de pâte à papier improductive, on rénove son DC8 personnel et finalement on paye la facture avec l’argent de l’aide publique au développement.

Ce que l’on oublie souvent ce que la mémoire collective pense que l’APD est constitué uniquement des dons. Or l’APD prends presque toujours la forme d’un prêt bonifié. C’est à dire que si l’usine improductive que la France vous vends coûte par exemple un million de dollars, et que l’ensemble du remboursement (prêt+intérêts) valent 1,5 millions de dollars, on vous compte en APD l’élément don, c’est à dire l’avantage total consenti en terme de réduction d’intérêts, de différé de remboursement et autres commissions occultes. Une telle aide n’est bonne qu’en apparence. Une telle proposition pousse à l’acte d’achat un peu comme, selon les termes de Verschave, un promoteur douteux vend à crédit une villa clefs en main à un ménage peu fortuné : il fait du chiffre d’affaire en sachant qu’il se rattrapera sur l’hypothèque lorsque le ménage croulera sous les dettes.

Bien souvent l’on pense que l’aide est un élément catalyseur permettant le développement de l’ensemble. C’est une illusion de plus, car l’aide est inextricablement lié à d’autres éléments de la politique des pays donateurs. Son acceptation implique presque toujours l’adhésion à l’objectif global de ces politiques. Très souvent les aspects nuisibles de l’aide, (mise en quarantaine de l’indépendance, obligations difficiles à tenir, engagements divers), contrebalancent les aspects dits positifs de celle-ci. En fait aussi ne sert qu’a lutter contre le développement en déresponsabilisant et en corrompant les autorités des pays aidés, en camouflant le bradage des matières premières et en alourdissant le fardeau de la dette financière.  On devient de ce fait recolonisé, car la souveraineté dans ces cas reste limitée.
Le rapport jeanneney : [le commerce triangulaire obligatoire].
… lorsqu’un pays de la zone franc CFA a exporté vers un pays étranger, les devises qu’il reçoit sont transformés par la France en francs cfa, et viennent donc grossir les réserves françaises en devises. Lorsqu’il doit effectuer un payement à l’étranger la France lui revend des devises contre des francs. En quoi cela est-il avantageux pour la France ?
Il l’est fondamentalement dans deux hypothèses :
1°) Lorsque les créances françaises exigibles à l’encontre des pays de la zone franc (résultant notamment des exportations [françaises] vers ces pays) sont inférieures aux dettes françaises exigibles (résultant notamment des importations [françaises] en provenance de ces mêmes pays, le système permet à la France de régler le déficit de sa balance simplement par des inscriptions de francs au crédit de ses partenaires. Ces derniers sont ainsi amenés à lui faire automatiquement crédit s’ils ne lui achètent pas assez pour équilibrer les balances.
2°) Lorsque les pays de la zone franc CFA exportent vers l’étranger plus qu’ils n’importent, ils procurent à la France des devises. ( in La politique de coopération avec les pays en voie de développement, Rapport Jeanneney, Paris La documentation française, 1963 cité par Rémi Godeau in Le franc CFA, pourquoi la dévaluation de 1994 a tout changé p39-40)

En termes clairs, si le Congo Brazza veut vendre son pétrole aux états unis. Les états unis payent le Congo par l’intermédiaire du trésor français en dollars. Le trésor français après avoir fait sa balance de payement par rapport au Congo lui reverse l’excédent en Francs CFA. Les dollars restent en France et le Congo prend les francs CFA qui sont imprimés en France. Quand le Congo voudra acheter des voitures japonaises, il doit s’adresser à la France qui lui vendra ses devises (des dollars) pour effectuer l’achat ou la France achètera pour le Congo en équilibrant sa propre balance des payements avec le japon. Par la suite, la France revendra, en quelque sorte, ces voitures au Congo par l’intermédiaire de la balance des payements entre ces deux pays. On s’en doute la balance ne peut jamais être déficitaire pour la France, car elle touche la prime à la devise, les commissions de transfert et d’achat, de même que les commissions bancaires. En d’autres termes aucune ancienne colonie française ne peut acheter ou vendre sans l’onction de la France, Pascal Lissouba l’a compris à ses dépends. Si ce n’est pas du néo-colonialisme et de la domination alors qu’on nous dise ce que c’est.

C’est pour maintenir ce statu quo, qu’au lendemain des indépendances africaines, la France a construit et renforcé la toile de ses relations avec les anciennes colonies, sur tous les plans. Elle a étendu une mainmise paternaliste, finalement étouffante, à travers une présence culturelle, économique et militaire.

C’est pourquoi, au travers des sommets franco-africains, de la création et du renforcement de l’espace francophone, elle impose sa culture, celle de «nos ancêtres les Gaulois », par la langue française. Elle contrôle en outre nos moribondes économies par l’omniprésence des firmes multinationales, en particulier pour le Gabon, dans les domaines forestiers, pétrolier et bancaire. Enfin, sous le couvert de la prévention et de la résolution des crises de nos Républiques bananières (crises qu’elle laisse parfois éclater comme au Rwanda en 1994, pour mieux montrer son lyrisme humanitaire), elle tente de faire l’apologie des léonins accords de coopération signés avec vingt trois pays africains. Elle insiste à exister militairement dans nos pays au motif d’une stabilité politique, quitte à sacrifier les populations africaines sur l’autel des régimes plus ou moins fréquentables. A quoi sert finalement la présence militaire française en Afrique si elle ne peut pas prévenir les crises ?

Principalement dans le « pré carré » (Côte d’Ivoire, Gabon, RCA, Tchad), il s’est fixé dans l’inconscient collectif des populations, qu’aucune alternance politique n’est possible sans l’onction de l’establishment français, quelle que soit l’équipe au pouvoir, de droite ou de gauche. Aussi, la politique française en matière d’intervention militaire confirme-t-elle cette croyance. Elle la renforce même, si on analyse les conditions et les conséquences des interventions au Gabon (c’est le cas qui nous intéresse principalement) en Février 1964 pour remettre Léon Mba au pouvoir, déposé très facilement par de jeunes soldats du Camp Baraka de Libreville, ou en Mai 1990 pour sauver la tête d’Omar Bongo, ébranlé par la colère populaire de Libreville et (surtout) de Port-Gentil, à la suite de l’assassinat d’un opposant politique.

Si tant est que le pays des droits de l’Homme abrite des opposants aux régimes africains, certains d’entre eux apparaissent, surtout depuis le folklorique habillage démocratique de 1990, comme des thalidomides, c’est-à-dire des régulateurs de tension sociale, permettant ainsi à l’oligarchie de se maintenir au pouvoir. Pourquoi nos opposants sont-ils si faibles ? Pourquoi semblent-ils souvent perdre la tête dans les moments cruciaux et tomber, avec le sourire, dans les compromissions les plus abjectes ? La France a-t-elle intérêt à changer les cartes politiques de nos Etats ? Nous avons la prétention de voir comment le double langage, qui consiste à prôner la sécurité pour le développement (alors qu’on renforce les places fortes du pillage économique et des trafics en tous genres), et l’ordre au bénéfice de la société (alors que l’on favorise sa désintégration) ne visent qu’à paupériser les populations, couvrir les turpitudes de nos dirigeants et maintenir nos Etats sous dépendance économique, militaire et culturelle.

La France sait de quoi dépend le développement de ses anciennes colonies et au lieu d’insuffler une véritable dynamique de développement elle a préféré l’instrumentalisation de l’Afrique en sacrifiant les indépendances africaines pour conforter la sienne. Pourtant un développement économique harmonieux de ces anciennes colonies n’est pas une mauvaise chose pour l’économie française, mais elle préfère le statu quo actuel.

 L’analyse de Tibor Mendé (in l’aide à la recolonisation) peut très bien s’appliquer dans le cas du Gabon. Cet analyste économique et politique estime :
Que le développement économique dépend de trois facteurs principaux. Le plus important, et de loin, est la mobilisation des ressources nationales tant matérielles qu’humaines. Un autre, bien moins décisif, repose sur les exportations qui fournissent le gros des devises étrangères nécessaires à l’achat des instruments indispensables à la modernisation et qui peuvent être produits dans le pays. Bien que d’importance inégale, l’un et l’autre supposent efforts et sacrifices. Le troisième outil du développement économique est l’aide. Elle ne demande pas de sacrifice de la part du bénéficiaire et elle est supposée être offerte précisément pour alléger l’effort et le sacrifice que représentent soit la mobilisation des ressources nationales tant matérielles qu’humaines, soit l’accélération des importations.

Mais ces trois facteurs sont totalement inefficaces si une gestion rationnelle et rigoureuse des pesanteurs du développement n’est pas prise en compte. Tibor Mendé distingue les pesanteurs internes et externes qu’il appelle des freins au développement.
Les pesanteurs externes et internes ont leur mot à dire dans le développement d’un pays. Les pesanteurs externes sont inhérentes aux problèmes de type conjoncturels, en d’autres termes, dépendent du fonctionnement du système économique et financier du monde soutenu par les puissances dominantes de la planète. Quant aux pesanteurs internes, elles sont structurelles. Elles sont constituées par une large variété de causes allant de l’inadaptation des institutions aux attitudes personnelles ou aux valeurs héritées de la colonisation.

Dans ce sens, le système qui contient des freins externes au développement exerce également ses effets sur les obstacles internes. Il peut ainsi diminuer leur obstruction où, inversement, il peut les prolonger ou même les aggraver. Car les forces externes qui bénéficient des blocages existants [dans un pays comme le Gabon] sont liées aux forces internes, qui ont un intérêt direct à la prolongation de ladite situation. Les deux tendent à se renforcer mutuellement. En fait, le résultat est fréquemment une véritable alliance entre l’influence extérieure et les forces internes au profit du conservatisme. Leur dénominateur commun est le désir de maintenir le statu quo.

C’est ce que fait la France et le clan Bongo. Tibor Mendé poursuit son analyse :

C’est dans ce contexte que l’interaction de ces deux partenaires du conservatisme devient apparente. [Les Français] sont poussés par leur désir de satisfaire leurs intérêts politiques, économiques ou stratégiques. Et du côté indigène, c’est à dire du clan de Bongo, il en va de même. Bongo et son clan sont convaincus qu’une telle coopération est la meilleur, sinon la seule méthode pour parvenir à des objectifs personnels ou nationaux. La plupart d’entre eux brillent par leur inculture et le désir inavoué d’imitation des occidentaux. Leur personnalité a été modelée par des relations, des goûts et des valeurs de l’étranger. Leurs émoluments et autres avantages matériels reposent sur les modèles «métropolitains». De par leurs habitudes mentales, ils sont plus à l’aise dans le confort et dans le style de vie des pays riches que dans le cadre traditionnel de leur propre société. Leur raffinement importé est devenu incompatible avec les façons de vivre locales. Leur mépris pour leurs compatriotes non instruits, pauvres et non occidentalisés ne le cède en rien à celui des dirigeants coloniaux du passé. Le complexe d’infériorité acquis en singeant leurs anciens maîtres est compensé par un souci excessif de gloriole et de prestige social. D’où une arrogance, une condescendance et une rapacité grotesques, le tout justifié par l’incapacité présumée des exploités à aspirer à la même situation d’expatriés virtuels qu’ils ont eux-mêmes atteinte. Ainsi, coupés des masses, ils éprouvent un sentiment d’insécurité et de crainte qui se transforme en une conviction que tout changement menaçant les privilèges existants jouerait également contre les intérêts de la communauté, dans son ensemble. N’ayant en règle générale aucune idéologie, ils préservent uniquement leurs intérêts personnels et sont loyaux à l’égard de ceux qui contribuent à le satisfaire. Telle est la pente qui conduit à n’être plus qu’un colonisateur de l’intérieur.

La France de Foccart a bien manœuvré, elle a réussi à se faire remplacer par des colons internes entièrement dévoués à sa cause pour uniquement maintenir le Gabon dans la dépendance éternelle.


Jean NDOUANIS

[1] In la Françafrique, François Xavier Verschave

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